Aix-en-Provence - Francis Carco

Aix musicale et belle avec la fièvre aux joues… – Émile Sicard

 

Les platanes, troués de soleil, s’immobilisent dans le soir. Rien ne bouge. La ville se recueille et s’il est ailleurs des boulevards et des faubourgs encombrés, ici on peut se retrouver dans le silence. Le café lui-même dispose à ces méditations : il offre ses longs fauteuils de rotin clair et ses absinthes qui, dans des gobelets de cristal, semblent condenser tout un ciel de rêveries précieuses. Mais quelle langueur vous pénètre, quel chaud à l’âme vous engourdit et vous accoude au bras bienveillant des chaises longues ! Il ne faut plus bouger : il ne faut plus remuer seulement la main. ll ne faut même pas abaisser une paupière.

 

Ma pipe couve.

 

Et toujours sous le dôme — or et vert amortis — des platanes, la statue du bon roi René. On entend aussi les fontaines harmonieuses dans le soir. Une buée les enveloppe. Ce sont des fontaines d’eau chaude et d’eau froide. Le crépuscule accuse maintenant la musicalité compliquée des lignes, des formes, des attitudes : car tous les gestes sont influencés par l’heure. Je sens les cambrures lasses. Des chevelures tordues vont se détendre, s’écrouler fabuleusement dans un éclat brusque de lumière sur des épaules de femmes attentives. Et quel frisson les secouera ? Elles se blottiront alors davantage au creux des fauteuils, souples, très pâles, très lentes, un peu crispées, elles qui, comme moi, devant des gobelets de rêve, échafaudèrent de dédaigneuses imaginations.

 

Des roses de septembre s’effeuillent au corsage des femmes et les arbres, atteints, eux aussi, par la rêverie du soir et de l’automne, laissent par intervalles s’éparpiller des traînes de feuilles…

 

Voici que tout s’efface dans les fumées : on a l’impression d’être noyé de songe. Et c’est une paresse triste. Nous sommes le soir et c’est nous qui nous dispersons avec chaque feuille, lorsque dans le chavirement dernier de la lumière, des cloches sur la ville sonnent l’Angélus.

 

Date de publication inconnue

Portrait de Francis CarcoJe m’appelle Francis Carco, de mon vrai nom François Carcopino-Tusoli, et je suis né en 1886 à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. J’ai grandi entre l’île et la métropole, mais c’est en France que j’ai trouvé mon inspiration, notamment à Montmartre, où j’ai côtoyé les artistes et les marginaux qui ont peuplé mes récits et mes poèmes. J’ai toujours été fasciné par les atmosphères, les lumières et les émotions que dégagent les lieux. Aix-en-Provence, avec ses paysages baignés de soleil et son héritage artistique, m’a inspiré un poème du même nom, où j’ai tenté de capturer l’essence de cette ville chère à Cézanne. J’aime écrire sur ce qui me touche, avec des mots simples mais évocateurs. Ma vie a été un mélange de bohème, de voyages et d’écriture, et je suis resté, jusqu’à ma mort en 1958, un observateur passionné des âmes et des paysages.

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