La nuit noire - Louis Vallas

Des obus, ce matin, ont plu sur notre ville,

Puis, l’orage a cessé, mais chaque heure qui fuit

Est faite de moments dont aucun n’est tranquille,

La nuit tomba, que va nous apporter la nuit ?

 

Hier, la voix du canon salua sa venue,

Mais l’alerte fut brève et nous avons dormi.

Dormirons-nous ce soir ou la voix trop connue

Sonnera-t-elle encore du tonnerre ennemi ?

 

Triste jour, qui t’endors sur le sein des nuées,

Au roulis d’un vent dur que souffle le couchant,

Tes dernières lueurs dans l’ombre insinuées,

Donnent à notre ciel un visage méchant.

 

Des destins malveillants serait-ce la sentence ?

Croyons plutôt, croyons toujours que nos remparts

S’ouvriront, et bientôt, au sauveur qui s’avance

Vers un nouveau Denain sous un nouveau Villars.

 

Ils sont là, nos soldats, leur ombre nous protège,

Des alliés vaillants et forts sont avec eux,

Une immense espérance est en nous, elle allège

Les lourds soucis que traîne un présent douloureux.

 

C’est l’heure du sommeil et chacun se prépare

À savourer l’oubli dont il a le secret.

Un bruit, qui naît soudain, du ciel entier s’empare,

Le présage écrit dans la nuée était vrai.

 

La nuit, dont le canon profane le mystère,

S’illumine d’éclairs, qu’elle ne connaît pas,

Qui ne lui viennent point du ciel, mais de la terre

Et versent dans sa paix la fureur des combats.

 

Des bolides d’acier qui labourent l’espace

Et d’éclats meurtriers écrase la cité,

Chacun s’essaie à fuir la mobile menace

Et demande à la terre un asile abrité.

 

Dans un coin de ma cave humide je grelotte,

Mille obstacles divers embarrassent mes pas,

Ma lanterne me verse une clarté falote,

De cette solitude obscure je suis las.

 

Je quitte mon désert et monte dans la rue

Où résonne le bruit de mes pas isolés ;

Une lueur amie, à mes yeux apparue,

Me mène à des voisins pour la veille assemblés.

 

À mon appel, la porte hospitalière s’ouvre.

Ce gîte est un palais à qui sort d’un cachot,

Certes, il est peu sûr, sans voûte qui le couvre,

Mais il est avenant, il est clair, il est chaud.

 

Les saluts échangés : « Eh bien, que font les nôtres,

Quel est le dernier bruit de la ville ? » Hélas ! non,

Je n’appris rien vraiment des nôtres ni des autres

Et ne sais d’autre bruit que celui du canon.

 

Il tonne sans répit et chacun de se taire ;

Attentif, comme s’il déchiffrait un rébus,

L’un d’entre nous propose un jeu pour se distraire,

On joue à deviner la marche des obus.

 

Publié en 1929 dans le recueil L’Émoi de Lille, Lille, Giard et Raoust-Leleu.

Louis Vallas, poète méconnu, capture dans La nuit noire l’angoisse et la résilience des Lillois sous le feu des obus. À travers des vers empreints de gravité et d’espoir, il décrit une ville en suspens, où chaque nuit apporte son lot d’incertitudes. Pourtant, même au cœur du chaos, il souligne cette chaleur humaine si propre au Nord : l’hospitalité d’un voisin, une lumière amicale, un jeu improvisé pour conjurer la peur. Son écriture, à la fois élégante et accessible, restitue l’atmosphère d’une époque troublée tout en mettant en avant l’esprit de solidarité qui unit les habitants. Poète du quotidien et des émotions partagées, Vallas dresse un tableau saisissant d’une Lille blessée mais debout, où la fraternité éclaire les heures sombres. Un témoin sensible de l’histoire, dont les mots résonnent encore comme une lueur dans la nuit.

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