Le Siège de Lille en 1792 - Chant populaire Lillois
Y a chinquante ans qu’no ville
A été bombardée,
Chés soldats à trint’ -mille
Étot’ bien décidés.
Y pensott’ qu’leu vaillance
Aro su fair’ tranner,
Ils ont bien vu qu’in France
Un savo batiller.
Libédo, libédo, libédo, ton, ti, ton, taine,
Libédo, libédo, libédo, ton, ti, tra, la, deri, dera.
De l’part du roi d’Autriche
Y vient un officier :
« Vos masons, vos égliches,
Y dit, J’vas tout brûler ;
Si vous n’volez mes drôles,
Accouter mes raisons,
Vrai, comme j’ai de l’parole,
J’vas tout mette in carbon. »
Libédo, libédo, etc.
Va t’in dire à tin maite
Qu’les Lillos ont du cœur,
Et qui peut mett’ din s’tiète
Qui n’leur f’ra jamais peur,
Y vont fair’ résistance
Malgré bombe’ et boulets,
Et morront pou la France
Avant qu’te soies reintré.
Libédo, libédo, etc.
ANDRÉ, l’mair de no ville,
Répond à l’officier :
« Avant d’intrer din Lille »
Faudra nous écraser. »
Ichi y n’y a point d’lâches, »
Et nous v’nons de jurer, »
D’puto morir su l’plache »
Que d’nous vir inquennés. »
Libédo, libédo, etc.
Tout l’monde in général’
Cri : viv’ la liberté
Chés réponses nationales
Des Lillos adopté,
Faitt’ vir’ qu’un a confiance
A RUAULT et ANDRÉ,
Et qu’à l’frontièr’ de France
Ne pass’ point l’étrenger.
Libédo, libédo, etc.
V’là chés soldats d’Autriche,
Pour tout épouvinter,
Qui qu’minch’ -te l’exerciche
Aveuc des roug’s boulets,
Vingt-quat’ quennons, chéstraites,
Et au moins douz’ mortiers,
Ils avoint idée d’mette
Le fu de tout côté.
Libédo, libédo, etc.
Tous les citoyens d’Lille,
Aveuc les calonniers,
Les bataillons qu’in ville
Un avo fait rester,
Dijoint véant ch’carnache :
« Nous avons des bons bras,
Quand’ qu’tout tro au pillache
N’y aro point d’embarras. » –
Libédo, libédo, etc.
L’princess’ rimplie d’malices
Qui volo s’amuser,
A faire’ d’z’artifices
Aveuc ses bombardiers,
A plein’ main tenant l’mêche
Pou mette’ fu au mortier
Là, comme pou s’mette in brèche,
Al’ savo sin métier.
Libédo, libédo etc.
T’mason brûll’, queu damache,
Un dit à Ovigneur :
« Ch’est d’z’affair’ de ménache,
N’y a point là grand malheur ;
T’ n’as qu’aller dire à m’feimme
Qu’al’ appell’ les pompiers,
Et qu’à n’soich’ point en peine,
Car din m’poche j’ai mis l’clé. »
Libédo, libédo, etc.
V’là eunn’ bomb’ qu’ai’ fracasse
Tout l’marqué aux moutons,
Sitôt l’péruqué Masse
Impoine euch’ l’occasion
D’continter ses pratiques
Qui voloint s’fair’ raser
Et y fait sin boutique
Au mitant du pavé.
Libédo, libédo, etc.
De cheul’ bomb’ y ramasse
Un morcieau égeulé,
D’pla à barb’ pu cocasse
Un n’n’a jamais treuvé ;
Se mettant à l’ouvrache
Che fameux péruqué,
Sur vingt et un visaches
Il a fait sin métier.
Libédo’, libédo, etc.
Neuf jours, point davantache –
L’carillon a duré,
Et puis chés gins d’corache
Ont qu’minché à tranner.
On leu tuo tant d’hommes
Qui s’ont mis à compter,
L’affaire n’éto pu bonne
Ils ont tertous piché.
Libédo, libédo, etc.
Din l’nuit, ployant bagache,
Important leux blessés,
Leux caissons, leux z’att’laches,
Leux quennons ingueulés ;
L’général à leu tiète,
Qui avot qu’mandé l’fu,
Eto obligé d’mette
Ses deux pauch’ a sin c…
Libédo, libédo, etc.
Publié en 1945 dans La Colonne de Lille, Recueil de documents historiques et de poésie relatifs au bombardement de Lille en 1792, à Lille, chez l’éditeur Émile Durieux, 1845.
L’auteur de Le Siège de Lille en 1792 demeure inconnu, mais son œuvre s’inscrit dans la tradition des chants populaires du Nord, célébrant la résilience et l’esprit festif des Lillois. À travers ce texte en picard, il immortalise un épisode marquant de l’histoire locale : la résistance héroïque des habitants face aux Autrichiens. Son style rappelle les chansons de marche et de révolte, où le rythme entraînant et le refrain récurrent (Libédo, libédo…) renforcent le sentiment d’unité et de bravoure. Fidèle à l’âme du Nord, ce poème ne se contente pas de glorifier le combat, il y mêle une touche d’humour et de légèreté typique des gens du pays. Ce poète anonyme, à travers ses vers pleins de chaleur humaine et de fierté locale, a su cristalliser l’identité lilloise : solidaire, courageuse et toujours prête à rire, même face à l’adversité.