D’Erdre en Loire - Yves Cosson

Au-delà de Riaillé l’Erdre qui musardait

Brusqua soudain son cours et mit le cap au Sud

Elle en perdit le Nord

Tant étaient doux et frais les mille bras profonds

De la Loire sirène qui coulait roucoulant

Sur le cœur de la ville.

La belle eau salua Jonnelière la gaie

Avec deux N majuscules pour tenir les piliers,

Ses guinches et ses voiles, ses guinguettes coquettes,

Puis passa la Tortière tout aussi frétillante

Parée de briques et rosissante dans le soir,

Rouge minium et vert se vit le pont suivant ;

Motte Rouge vainqueur à Magenta au sabre

Vive Napoléon sa barbiche et Mac-Mahon.

L’Erdre entoura lascive son Île de Versailles,

Aux cris et quolibets des laveuses gaillardes,

Manches troussées, battoirs en mains,

Sur leurs bateaux-lavoirs à quai depuis Barbin.

Salua Saint-Mihiel en souvenir pieux,

Filleule mosellane de nos poilus nantais

Orpheline de guerre oubliée des passants.

Port Communeau s’ouvrait aux voyageurs rennais

Sur l’Aiguillon passait vénérant le marquis.

De bois le pont devint métallique et grinçant,

On le nomma Morand : serait-ce bien l’ami

Des palaces mondains et de l’Orient-Express ?

 Puis la ville gagna sur l’eau

Et remit l’Erdre dans son lit,

Pourtant, comme des sauts de puces,

Les vieux ponts se pressaient :

Petits Murs, Echellerie, Hôtel-de-Ville,

Ecluse, Boucherie,

Les Halles, ses triperies, Saint-Yves et sa frairie,

Casserie ou d’Arcole et même d’Orléans,

Histoire d’encenser la duchesse de Berry.

Après Sainte-Catherine et le Vieil Hôpital,

Entre Brancas, Flesselles en Loire dévorante

Elle se jeta droit dessous la passerelle.

Puis fut le pont tremblant sous les locos fumantes

Et comme pour punir la rivière vagabonde

On l’enferma vivante en un canal austère

Et même on l’exila en nuit de pénitence

Pour la livrer aux quais du canal Saint-Félix.

L’Erdre y pleure son lit où se miraient les ponts.

 

Publié en 2006 dans le recueil Nantes au cœur, Editions Siloë, pp. 79-80)

Photographie d'Yves CossonYves Cosson, poète profondément attaché à Nantes, a su faire de la Loire et de l’Erdre des personnages vivants de son œuvre. Dans D’Erdre en Loire, il retrace avec lyrisme et précision le parcours de l’Erdre, cette rivière qui, après avoir musardé, se précipite vers la Loire, épousant l’histoire et l’urbanisme nantais. Son écriture fluide et évocatrice donne vie aux ponts, aux quartiers et aux souvenirs d’un Nantes où l’eau façonnait autrefois le paysage. Entre nostalgie et hommage, il évoque la disparition progressive de l’Erdre sous les aménagements modernes, regrettant la poésie des bateaux-lavoirs et des passerelles vibrantes de vie. À travers son regard attentif et sensible, Yves Cosson immortalise l’âme maritime et fluviale de Nantes, célébrant un patrimoine que le temps et l’urbanisation ont peu à peu transformé, mais dont l’écho demeure vivant dans ses vers.

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