Clichés - Anjela Duval
Lenaïg aux cheveux couleur de lune
Aux yeux profonds qui interrogent…
Pourquoi est-ce qu’on ne lui apprend pas la langue de Francis
Le vieux journalier qui ne parle que breton ?
Virgile ! Virgile ! Si j’avais été Virgile !
Je me serais fait apporter une poignée
De cette terre vivante qu’ils charroient
Pour combler les creux humides.
Et que je vois tous les jours depuis mon lit
Ah, respirer par les narines
Le parfum de la terre vivante !
Quatre-vingt-dix ans aujourd’hui
À cette heure les cloches de Tonquédec célébraient
La messe de mariage de mon père et de ma mère
Comment était le temps. Comment étaient les gens
J’invente les images de 1891.
Les bois de Trorozeg
S’agrippent à la montagne
Plongée dans la brume
Pas une feuille pas une herbe ne bouge
Fantômes blancs sous les parapluies
Multicolores comme des fleurs énormes qui marchent.
Sur la petite table un sac de papier brun
Froissé et défroissé, à l’intérieur un trésor
Plus précieux que s’il était d’or et d’argent :
Quatre poires de Traoñ-an-Dour.
13 et 14 octobre 1981.
Anjela Duval, poétesse bretonne née en 1905 et décédée en 1981, a consacré une grande partie de son œuvre à rendre hommage à sa Bretagne natale. Issue d’une famille paysanne, elle a grandi au cœur des traditions bretonnes, un héritage qu’elle a magnifiquement transposé dans ses poèmes. Dans son poème Clichés, elle évoque la Bretagne de manière sensible et intime, capturant les images et les sons de sa terre, tout en soulignant la beauté simple de la vie rurale. Anjela Duval s’intéresse à la mémoire collective et personnelle, mêlant ses souvenirs et ses réflexions sur la culture bretonne. Par son écriture, elle s’inscrit dans la tradition de la poésie bretonne tout en questionnant le passage du temps et la préservation des racines. Elle reste une figure importante de la poésie bretonne contemporaine, appréciée pour la profondeur de son regard sur la nature et l’histoire de sa région.