Une idée sombre. - Edouard Turquety
LVI
UNE IDÉE SOMBRE.
Quand je reviens joyeux dans ma belle Bretagne
Au sortir de Paris, de ce triste Paris,
Où l’on ne voit ni mer, ni forêt, ni montagne,
Où l’on traîne des jours ennuyés et flétris ;
Quand j’ai passé le seuil, quand j’ai franchi l’entrée
De la noire maison gothique et retirée,
Et qu’un instant après je tombe dans les bras
De mes deux bien aimés qui ne m’attendaient pas,
Oh ! de quelque bonheur que mon âme soit pleine
Dans ces rares momens d’ivresse surhumaine,
Quel que soit mon transport, un indicible ennui
S’éveille à l’heure même et se mêle avec lui.
J’aperçois, et c’est là ce qui me désespère,
Quelques rides de plus sur le front de mon père ;
Ma mère aussi, ma mère attriste mon regard,
Ses cheveux sont encor plus blancs qu’à mon départ.
Et des larmes d’effroi roulent sous mes paupières :
Ô mon Dieu ! gardez-moi ces deux âmes si chères !
Gardez mon doux trésor, il est là tout entier ;
S’il vous faut l’un des trois, prenez-moi le premier ;
Prenez-moi : que ferais-je, hélas ! dans ce vain monde,
Sevré des tendres soins dont leur amour m’inonde ?
Publié en 1846 dans son recueil Amour et Foi
Édouard Turquety, poète romantique du XIXe siècle, est souvent considéré comme un observateur sensible des paysages et des âmes bretonnes. Dans Une idée sombre, il exprime les tourments intérieurs qui, en résonance avec les paysages de Bretagne, révèlent la mélancolie de l’auteur. Son écriture, souvent marquée par une profonde réflexion sur la condition humaine et la solitude, se nourrit des légendes et du patrimoine historique bretons. Turquety dépeint une Bretagne mystérieuse, marquée par des contrastes saisissants, entre la grandeur de ses traditions et l’isolement de ses terres. Sa poésie, parfois sombre, explore les questionnements existentiels et la quête de sens, tout en rendant hommage à la beauté brute de la région. À travers ses vers, il invite le lecteur à une contemplation profonde, capturant la dualité de la nature bretonne et des émotions humaines.