À la Femme aimée - Renée Vivien
Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,
Le ciel mêlait aux ors le cristal et l’airain.
Ton corps se devinait, ondoiement incertain,
Plus souple que la vague et plus frais que l’écume.
Le soir d’été semblait un rêve oriental
De rose et de santal.
Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes
Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids.
Leurs parfums expirants s’échappaient de tes doigts
En le souffle pâmé des angoisses suprêmes.
De tes clairs vêtements s’exhalaient tour à tour
L’agonie et l’amour.
Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes
La douceur et l’effroi de ton premier baiser.
Sous tes pas, j’entendis les lyres se briser
En criant vers le ciel l’ennui fier des poètes
Parmi des flots de sons languissamment décrus,
Blonde, tu m’apparus.
Et l’esprit assoiffé d’éternel, d’impossible,
D’infini, je voulus moduler largement
Un hymne de magie et d’émerveillement.
Mais la strophe monta bégayante et pénible,
Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,
Vers ta Divinité.
Publié en 1901 dans le recueil Etudes et préludes
Renée Vivien, de son vrai nom Pauline Mary Tarn (1877-1909), incarne la poésie amoureuse transgressive de la Belle Époque. Née à Londres dans une famille anglo-américaine, cette muse des « amours saphiques » choisit le français pour exprimer une sensualité teintée de mysticisme, comme en témoigne son poème À la Femme aimée (1901). Ce texte, extrait du recueil Études et préludes, dépeint une rencontre amoureuse où le corps aimé se confond avec les éléments – « plus souple que la vague et plus frais que l’écume » – dans une synesthésie de parfums (rose, santal) et de métaphores religieuses. Son écriture, marquée par l’influence de Baudelaire, transforme l’amour lesbien en expérience sacrée : « Sous tes pas, j’entendis les lyres se briser / En criant vers le ciel l’ennui fier des poètes ». Vivien puise dans ses passions tumultueuses – notamment avec Natalie Barney et la baronne de Zuylen – une inspiration où se mêlent désir et désespoir. Son style parnassien, alliant rigueur formelle et effusion lyrique, fait de ce poème un hymne intemporel à la femme divinisée, malgré l’« écho puéril » d’une langue qui avoue ses limites face à l’indicible. Une œuvre où brûle encore la flamme d’une poétesse morte à 32 ans, laissant une trace indélébile dans la littérature amoureuse.