À l'éternel amour - Auguste Angellier

Ô mer, ô mer immense et triste, qui déroules,

Sous les regards mouillés de ces millions d’étoiles,

Les longs gémissements de tes millions de houles,

Lorsque dans ton élan vers le ciel tu t’écroules ;

 

Ô ciel, ô ciel immense et triste, qui dévoiles,

Sur les gémissements de ces millions de houles,

Les regards pleins de pleurs de tes millions d’étoiles,

Quand l’air ne cache point la mer sous de longs voiles ;

 

Vous qui, par des millions et des millions d’années,

À travers les éthers toujours remplis d’alarmes.

L’un vers l’autre tendez vos âmes condamnées

 

À l’éternel amour qu’aucun temps ne consomme,

Il me semble, ce soir, que mon étroit cœur d’homme

Contient tous vos sanglots, contient toutes vos larmes.

 

Publié en 1896 dans le recueil À l’amie perdue.

Portrait d'Auguste AngellierAuguste Angellier (1848-1911), poète et universitaire originaire de Dunkerque, marqua son époque par une dualité fascinante entre rigueur académique et sensibilité lyrique. Professeur pionnier de littérature anglaise à Lille – dont il devint doyen – et spécialiste reconnu de Robert Burns, il cultiva pourtant une œuvre poétique intimiste nourrie d’un drame sentimental. Son recueil À l’amie perdue (1896), composé de 178 sonnets, transpose en vers l’expérience douloureuse d’un amour caché avec Thérèse Fontaine. Le poème À l’éternel amour y déploie une cosmogonie élégiaque où la mer et le ciel étoilé, unis par des « gémissements » millénaires, deviennent le miroir démesuré d’un chagrin intime. Par un saisissant effet de miroir, le cœur humain s’y fait l’écho des « millions d’années » d’une passion inassouvie, mêlant l’infini cosmique à la blessure personnelle. Si Angellier resta de son vivant plus célèbre pour ses travaux universitaires que pour ses vers, ce cycle poétique révèle un romantisme tardif où le désespoir amoureux acquiert, par la force des images, une résonance universelle.

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