À une jeune fille - Victor Hugo
Pourquoi te plaindre, tendre fille ?
Tes jours n’appartiennent-ils pas à la première jeunesse ?
Daïno Lithuanien.
Vous qui ne savez pas combien l’enfance est belle,
Enfant ! n’enviez point notre âge de douleurs,
Où le cœur tour à tour est esclave et rebelle,
Où le rire est souvent plus triste que vos pleurs.
Votre âge insouciant est si doux qu’on l’oublie !
Il passe, comme un souffle au vaste champ des airs,
Comme une voix joyeuse en fuyant affaiblie,
Comme un alcyon sur les mers.
Oh ! ne vous hâtez point de mûrir vos pensées !
Jouissez du matin, jouissez du printemps ;
Vos heures sont des fleurs l’une à l’autre enlacées ;
Ne les effeuillez pas plus vite que le temps.
Laissez venir les ans ! le destin vous dévoue,
Comme nous, aux regrets, à la fausse amitié,
À ces maux sans espoir que l’orgueil désavoue,
À ces plaisirs qui font pitié.
Riez pourtant ! du sort ignorez la puissance
Riez ! n’attristez pas votre front gracieux,
Votre oeil d’azur, miroir de paix et d’innocence,
Qui révèle votre âme et réfléchit les cieux !
Février 1825.
Publié en 1826 dans le recueil Odes et ballades.
Victor Hugo, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris, incarne l’âme romantique française à travers une œuvre poétique où l’amour se mêle à la mélancolie du temps qui fuit. Dès ses premiers recueils comme Odes et Ballades (1826), il explore les nuances sentimentales avec une grâce lyrique, comme en témoigne À une jeune fille. Ce poème de février 1825, adressé à une enfant « au front gracieux » et aux « heures fleuries », célèbre l’insouciance juvénile tout en pressentant les blessures futures de l’existence. Hugo y déploie des métaphores maritimes et printanières – « un alcyon sur les mers », « jouissez du printemps » – pour exalter la beauté éphémère, révélant déjà son génie des contrastes entre lumière et obscurité. Si ses engagements politiques et ses romans monumentaux ont marqué le XIXe siècle, ses vers amoureux traversent les époques par leur universalité, mêlant tendresse protectrice et conscience aiguë de la fatalité, une dualité qui fera de lui le chantre des « âmes reflétant les cieux » autant que des « plaisirs qui font pitié ».