Absence - Renée Vivien
Ô Femme au cœur de qui mon triste cœur a cru,
Je te convoite, ainsi qu’un trésor disparu.
Je te maudis, mais en t’aimant… Mon cœur bizarre
Te recherche, Émeraude admirablement rare !
Que je suis exilée ! Et que pèse le temps,
Malgré le beau soleil des midis éclatants !
Retombant chaque soir dans un amer silence,
Je pleure sur le plus grand des maux : sur l’absence !…
Publié en 1910 dans le recueil Dans un coin de violettes
Renée Vivien, née Pauline Mary Tarn en 1877 à Londres, incarne la figure tourmentée de la poésie sapphique moderne. Héritière d’une fortune familiale, cette Britannique d’expression française choisit Paris pour cadre de sa révolution littéraire et amoureuse, forgeant son pseudonyme comme un manifeste d’identité. Son poème Absence, extrait du recueil posthume Dans un coin de violettes (1910), condense en sept vers la quintessence de sa poétique : un lyrisme ombrageux où l’amour se mue en exil existentiel. À travers l’apostrophe « Ô Femme au cœur de qui mon triste cœur a cru », Vivien transmute sa passion contrariée pour Natalie Barney – relation orageuse alimentant son œuvre – en une méditation universelle sur le manque. Ce chant de l’absence, nourri des courants symboliste et parnassien, révèle sa maîtrise des formes classiques au service d’une sensualité féminine subversive, faisant d’elle la « Sapho 1900 » dont les violentes métaphores (« Émeraude admirablement rare ») redéfinissent l’érotisme littéraire. Sa mort précoce à 32 ans, en 1909, transforme ce cri du désir en testament poétique immortel.