Amour - Germain Nouveau

Je ne crains pas les coups du sort,

Je ne crains rien, ni les supplices,

Ni la dent du serpent qui mord,

Ni le poison dans les calices,

Ni les voleurs qui fuient le jour,

Ni les sbires ni leurs complices,

Si je suis avec mon Amour.

 

Je me ris du bras le plus fort,

Je me moque bien des malices,

De la haine en fleur qui se tord,

Plus caressante que les lices ;

Je pourrais faire mes délices

De la guerre au bruit du tambour,

De l’épée aux froids artifices,

Si je suis avec mon Amour.

 

Haine qui guette et chat qui dort

N’ont point pour moi de maléfices ;

Je regarde en face la mort,

Les malheurs, les maux, les sévices ;

Je braverais, étant sans vices,

Les rois, au milieu de leur cour,

Les chefs, au front de leurs milices,

Si je suis avec mon Amour.

 

ENVOI.

 

Blanche Amie aux noirs cheveux lisses,

Nul Dieu n’est assez puissant pour

Me dire : « Il faut que tu pâlisses »,

Si je suis avec mon Amour.

 

Publié en 1885 dans le recueil Valentines.

Portrait de Germain NouveauGermain Nouveau (1851-1920), poète méconnu du mouvement symboliste, a marqué la littérature française par ses vers empreints d’une passion à la fois mystique et charnelle. Proche de Rimbaud et Verlaine, il collabora même avec le premier à Londres pour les Illuminations, mais son œuvre personnelle, notamment le recueil Valentines (1885), révèle une voix unique. Le poème Amour, extrait de ce recueil, incarne cette dualité : un hymne à l’amour absolu, capable de transcender la mort, la haine ou la violence. À travers des strophes rythmées, Nouveau célèbre la puissance libératrice du sentiment amoureux — « Je ne crains rien […] Si je suis avec mon Amour » —, mêlant lyrisme et audace. Pourtant, derrière cette exaltation se cache un destin tourmenté : après une crise mystique en 1891, il renoncera à publier ces textes, jugés trop sulfureux, et finira sa vie dans l’ascèse. Valentines, publié de manière posthume et censuré, reste pourtant un témoignage intemporel de l’amour comme force rebelle, où l’érotisme le dispute à la spiritualité, bien avant les surréalistes qui le revendiqueront.

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