Amourette - Pierre de Ronsard

Or que l’hiver roidit la glace épaisse,

Réchauffons-nous, ma gentille maîtresse,

Non accroupis près le foyer cendreux,

Mais aux plaisirs des combats amoureux.

 

Asseyons-nous sur cette molle couche.

Sus ! baisez-moi, tendez-moi votre bouche,

Pressez mon col de vos bras dépliés,

Et maintenant votre mère oubliez.

 

Que de la dent votre tétin je morde,

Que vos cheveux fil à fil je détorde.

Il ne faut point, en si folâtres jeux,

Comme au dimanche arranger ses cheveux.

 

Approchez donc, tournez-moi votre joue.

Vous rougissez ? il faut que je me joue.

Vous souriez : avez-vous point ouï

Quelque doux mot qui vous ait réjoui ?

 

Je vous disais que la main j’allais mettre

Sur votre sein : le voulez-vous permettre ?

Ne fuyez pas sans parler : je vois bien

À vos regards que vous le voulez bien.

 

Je vous connais en voyant votre mine.

Je jure Amour que vous êtes si fine,

Que pour mourir, de bouche ne diriez

Qu’on vous baisât, bien que le désiriez ;

Car toute fille, encore qu’elle ait envie

Du jeu d’aimer, désire être ravie.

Témoin en est Hélène, qui suivit

D’un franc vouloir Pâris, qui la ravit.

 

Je veux user d’une douce main forte.

Ah ! vous tombez, vous faites déjà la morte.

Ah ! quel plaisir dans le coeur je reçois !

Sans vous baiser, vous moqueriez de moi

En votre lit, quand vous seriez seulette.

Or sus ! c’est fait, ma gentille brunette.

Recommençons afin que nos beaux ans

Soient réchauffés de combats si plaisants.

 

Publié en 1556 dans le recueil Le second livre des Amours.

Portrait de Pierre de RonsardPierre de Ronsard (1524-1585), figure majeure de la Renaissance française et chef de file de la Pléiade, révolutionna la poésie amoureuse en mêlant lyrisme antique et sensualité moderne. Devenu poète après une surdité précoce qui mit fin à sa carrière diplomatique, il transforma ses expériences sentimentales en chefs-d’œuvre intemporels. Son poème Amourette, publié en 1556 dans Le second livre des Amours, illustre cette alchimie entre érotisme malicieux et profondeur philosophique. Jouant des contrastes entre le froid hivernal et la chaleur des ébats amoureux, Ronsard y déploie un registre grivois teinté de références mythologiques (comme l’évocation d’Hélène et Pâris), tout en explorant le thème du désir féminin voilé de pudeur. Ce dialogue amoureux, où chaque strophe révèle une progression de la séduction à l’accomplissement charnel, montre son génie pour saisir les nuances du jeu amoureux. Par son mélange de trivialité et de sophistication, Ronsard érige l’instant éphémère en éternité poétique, prouvant que les battements du cœur humain transcendent les siècles.

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