Beauté des femmes - Paul Verlaine

Beauté des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles

Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal,

Et ces yeux, où plus rien ne reste d’animal

Que juste assez pour dire :  » assez  » aux fureurs mâles.

 

Et toujours, maternelle endormeuse des râles,

Même quand elle ment, cette voix ! Matinal

Appel, ou chant bien doux à vêpre, ou frais signal,

Ou beau sanglot qui va mourir au pli des châles !…

 

Hommes durs ! Vie atroce et laide d’ici-bas !

Ah ! que du moins, loin des baisers et des combats,

Quelque chose demeure un peu sur la montagne,

 

Quelque chose du coeur enfantin et subtil,

Bonté, respect ! Car, qu’est-ce qui nous accompagne

Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il ?

 

Publié en 1881 dans le recueil Sagesse.

Portrait de Paul VerlainePaul Verlaine (1844-1896), poète maudit aux amours tumultueuses, incarne la quintessence d’une poésie lyrique où l’amour se mêle à la blessure existentielle. Après sa rupture orageuse avec Rimbaud – épisode marqué par la prison et la rédemption –, il publie Sagesse (1881), recueil où « Beauté des femmes » révèle sa vision complexe de l’éternel féminin. Ce sonnet dépeint les femmes comme des paradoxes vivants : leurs mains « pâles » symbolisent autant la douceur que le pouvoir de nuire, tandis que leur regard animal dompte « les fureurs mâles » par un simple mot. Verlaine y célèbre leur voix capable d’apaiser les « râles » du monde, mélodie trompeuse et salvatrice qui oscille entre « chant bien doux » et « beau sanglot » étouffé dans les plis des étoffes. Sous son apparente légèreté, le poème cache une angoisse : face à la « vie atroce et laide », seules persistent les vertus féminines – bonté, respect –, ultimes traces d’humanité avant le néant. Ce dialogue entre désir et spiritualité, typique de sa période post-carcérale, fait de Verlaine l’architecte d’un lyrisme où l’amour devient both blessure et sacrement.

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