Chanson pour elles - Paul Verlaine

Ils me disent que tu es blonde

Et que toute blonde est perfide,

Même ils ajoutent  » comme l’onde « .

Je me ris de leur discours vide !

Tes yeux sont les plus beaux du monde

Et de ton sein je suis avide.

 

Ils me disent que tu es brune,

Qu’une brune a des yeux de braise

Et qu’un coeur qui cherche fortune

S’y brûle… Ô la bonne foutaise !

Ronde et fraîche comme la lune,

Vive ta gorge aux bouts de fraise !

 

Ils me disent de toi, châtaine :

Elle est fade, et rousse trop rose.

J’encague cette turlutaine,

Et de toi j’aime toute chose

De la chevelure, fontaine

D’ébène ou d’or (et dis, ô pose-

Les sur mon coeur), aux pieds de reine.

 

Publié en 1896 dans le recueil Chair.

Portrait de Paul VerlainePaul Verlaine (1844-1896), figure majeure du symbolisme français, a marqué la poésie par son exploration sensuelle et tumultueuse de l’amour. Issu d’une famille bourgeoise, il publie dès 22 ans Poèmes saturniens, révélant un style fluide et musical. Sa vie, marquée par une relation passionnelle avec Arthur Rimbaud – qui le conduit en prison après une dispute violente – et un alcoolisme destructeur, nourrit une œuvre oscillant entre extase et désespoir. Chanson pour elles, extrait de son avant-dernier recueil Chair (1896), incarne cette dualité : le poème célèbre l’amour charnel en défiant les préjugés sur les femmes (« blonde perfide », « brune aux yeux de braise »), affirmant une adoration inconditionnelle. Verlaine y fusionne l’audace formelle – jeux de rimes et ruptures rythmiques – avec un lyrisme provocateur, témoignant de sa quête éperdue de beauté au crépuscule de sa vie. Ce texte, comme beaucoup de ses œuvres, transcende les époques par son éloge vibrant des passions interdites et sa défense de la singularité amoureuse.

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