Cher ange, vous êtes belle - Théophile Gautier
Élégie VII.
Cher ange, vous êtes belle
A faire rêver d’amour,
Pour une seule étincelle
De votre vive prunelle,
Le poète tout un jour.
Air naïf de jeune fille,
Front uni, veines d’azur,
Douce haleine-de vanille,
Bouche rosée où scintille
Sur l’ivoire un rire pur ;
Pied svelte et cambré, main blanche,
Soyeuses boucles de jais,
Col de cygne qui se penche,
Flexible comme la branche
Qu’au soir caresse un vent frais ;
Vous avez, sur ma parole,
Tout ce qu’il faut pour charmer ;
Mais votre âme est si frivole,
Mais votre tête est si folle
Que l’on n’ose vous aimer.
Publié en 1830 dans le recueil Élégies.

Théophile Gautier (1811-1872), figure majeure du romantisme français puis chef de file du Parnasse, a marqué la littérature par sa défense de la beauté pure avec la théorie de « l’art pour l’art ». Né à Tarbes et formé à Paris, ce disciple de Victor Hugo, reconnaissable à son légendaire gilet rouge lors de la bataille d’Hernani (1830), compose dès ses débuts des poèmes d’amour oscillant entre l’idéalisation et une lucidité désenchantée. Son Élégie VII « Cher ange, vous êtes belle » (1830), extraite de ses premiers recueils, incarne cette dualité : le poète y célèbre avec grâce la perfection physique de la femme – chevelure de jais, regard étincelant, rire pur – tout en déplorant la frivolité d’une âme trop légère pour aimer véritablement. Gautier y déploie une écriture sculpturale, ciselant chaque détail comme un orfèvre, préférant l’émotion esthétique au lyrisme passionné. Si ce texte appartient à sa jeunesse romantique, il annonce déjà son évolution vers un formalisme poétique où l’amour, éternel sujet, devient prétexte à exalter la beauté intemporelle bien plus qu’à explorer les sentiments.