Cœur lent sans colère. - Anna de Noailles.

J’ai travesti, pour te complaire,

Ma véhémence et mon émoi

En un cœur lent et sans colère.

 

Mais ce qui m’importe le plus

Depuis l’instant où tu m’as plu,

C’est d’être un jour lasse de toi !

 

— Je perds mon appui et mon aide,

Tant tu me hantes et m’obsèdes

Et me deviens essentiel !

Je ne vois la vie et le ciel

Qu’à travers le vitrail léger

Qu’est ton nuage passager.

— Je souffre, et mon esprit me blâme,

Je hais ce harassant désir !

Car il est naturel à l’âme

De vivre seule et d’en jouir…

 

Publié en 1924 dans le recueil Poème de l’amour

Portrait d'Anna de NoaillesAnna de Noailles (1876-1933), née Anna Elisabeth Bassaraba de Brancovan à Paris, incarne une figure majeure de la poésie amoureuse du début du XXᵉ siècle. Issue d’une aristocratie gréco-roumaine, cette muse des salons parisiens marqua son époque par un lyrisme sensuel teinté de métaphysique, mêlant exaltation panthéiste et angoisse existentielle. Son poème Cœur lent sans colère (1924) révèle cette tension entre passion et retenue : le vers « J’ai travesti, pour te complaire / Ma véhémence et mon émoi » illustre son art du paradoxe amoureux, où le désir brûlant se dissimule sous une apparente sérénité. Prix Archon-Despérouses en 1902 et première femme commandeur de la Légion d’honneur, Noailles explore dans Poème de l’amour les tourments d’un amour à la fois « essentiel » et aliénant (« Je hais ce harassant désir ! »), reflétant sa quête d’émancipation féminine dans une société corsetée. Son œuvre, traversée par les ombres de Nietzsche et des romantiques, reste un pont entre tradition classique et modernité littéraire.

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