Correspondances - Charles Baudelaire

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,

Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,

Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

 

Publié en 1857 dans le recueil Les Fleurs du mal

Portrait de Charles BaudelaireCharles Baudelaire (1821-1867), figure majeure du symbolisme et précurseur de la modernité poétique, a marqué l’histoire littéraire par sa vision audacieuse de l’amour et du sensible. Dans Les Fleurs du mal (1857), recueil scandaleux à sa parution, il explore les tensions entre idéal et spleen, notamment à travers Correspondances, poème-phare où l’amour se mue en expérience sensorielle universelle. Ce texte, souvent considéré comme un manifeste de l’esthétique baudelairienne, dépeint la nature comme un « temple » traversé de symboles, où les parfums, couleurs et sons dialoguent dans une symphonie mystérieuse.

Baudelaire y transcende la simple déclaration amoureuse pour ériger les sens en langage métaphysique : les « chairs d’enfants » évoquent une innocence perdue, tandis que l’ambre et le musc symbolisent les désirs charnels. Cette alchimie du concret et du spirituel, typique de son œuvre, fait de l’amour une quête à la fois sensuelle et mystique. Le poète, hanté par l’idée d’infini, y trouve une forme d’éternité – les « choses infinies » devenant le refuge contre la fuite du temps.

Malgré les procès pour outrage aux mœurs, Correspondances incarne une conception intemporelle de l’amour, où la passion humaine s’unit au chant cosmique de la nature. Baudelaire y révèle sa modernité : en faisant de la perception sensorielle une clé poétique, il influence durablement Rimbaud, Verlaine et toute la poésie symboliste.

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