Demain, dès l'aube - Victor Hugo

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

 

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

 

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

 

Publié en 1856 dans le recueil Les contemplations.

Portrait de Victor HugoVictor Hugo (1802-1885), figure majeure du romantisme français, transforma sa douleur personnelle en chefs-d’œuvre universels avec Les Contemplations. Ce recueil publié en 1856, structuré autour de la mort de sa fille Léopoldine en 1843, révèle une alchimie poétique où l’amour paternel devient éternité littéraire. Le poème Demain, dès l’aube, sobre et poignant, déploie une marche symbolique vers la tombe de l’enfant disparue – « Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends » – où chaque vers concentre l’essence du lyrisme hugolien. Par un dépouillement formel révolutionnaire (quatrains en alexandrins aux rimes croisées), le poète transcende son deuil intime pour toucher à l’universel. L’image finale du « bouquet de houx vert », paradoxe végétal mêlant deuil et vitalité, cristallise cette alchimie entre souffrance privée et création immortelle. Hugo y invente une nouvelle grammaire de l’amour endeuillé qui influence encore la poésie contemporaine.

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