Deux vers d’Alcée - Louise Ackermann

« Je veux dire quelque chose

mais la honte me retient »

 

(Alcée,éd. Bergk)

 

Quel était ton désir et ta crainte secrète ?

Quoi ! le vœu de ton cœur, ta Muse trop discrète

Rougit-elle de l’exprimer ?

Alcée, on reconnaît l’amour à ce langage.

Sapho feint vainement que ton discours l’outrage,

Sapho sait que tu vas l’aimer.

 

Tu l’entendais, tu la voyais sourire,

La fille de Lesbos, Sapho qui sur sa lyre

Répandit sa grâce et ses feux.

Sa voix te trouble, Alcée, et son regard s’enflamme ;

Tandis que ses accents pénétraient dans ton âme,

Sa beauté ravissait tes yeux.

 

Que devint ton amour ? L’heure qui le vit naître

L’a-t-elle vu mourir ? Vénus ailleurs peut-être

Emporta tes vœux fugitifs.

Mais le parfum du cœur jamais ne s’évapore ;

Même après deux mille ans je le respire encore

Dans deux vers émus et craintifs.

 

Publié en 1871 dans le recueil Premières Poésies

Née à Paris en 1813 et morte en 1890, Louise Ackermann occupe une place singulière dans la poésie française du XIXᵉ siècle, marquée par une sensibilité romantique teintée de rigueur classique. Veuve précocement après la mort de son mari, le philologue Paul Ackermann, elle puise dans la solitude une inspiration mêlant mélancolie existentielle et méditations sur l’amour. Son recueil Premières Poésies (1871), où figure Deux vers d’Alcée, révèle une fascination pour les dialogues amoureux antiques, qu’elle réinterprète avec une modernité troublante.

Dans ce poème, Ackermann ressuscite l’échange entre Alcée et Sapho, deux figures majeures de la poésie lyrique grecque. En s’emparant du fragment « Je veux dire quelque chose / mais la honte me retient » d’Alcée, elle explore la tension entre désir et retenue, thème universel qu’elle actualise par un langage sobre mais chargé de sous-entendus. Le vers « Même après deux mille ans je le respire encore » symbolise sa conviction que l’émotion amoureuse transcende les époques, reliant les cœurs à travers les siècles.

Son approche, oscillant entre analyse érudite (son mariage avec un linguiste influence sa rigueur historique) et confidence intime, démontre comment l’amour se nourrit autant de silences que de mots. Ce poème, comme beaucoup de ses œuvres, sert de pont entre la passion antique et les tourments romantiques, prouvant que la flamme lyrique ne s’éteint jamais – elle se réinvente.

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