Écoutez la chanson bien douce - Paul Verlaine
Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d’eau sur de la mousse !
La voix vous fut connue (et chère !),
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d’automne,
Cache et montre au cœur qui s’étonne
La vérité comme une étoile.
Elle dit, la voix reconnue.
Que la bonté c’est notre vie.
Que de la haine et de l’envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D’être simple sans plus attendre,
Et de noces d’or et du tendre
Bonheur d’une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n’est meilleur à l’âme
Que de faire une âme moins triste !
Elle est en peine et de passage
L’âme qui souffre sans colère.
Et comme sa morale est claire !…
Écoutez la chanson bien sage.
Publié en 1881 dans le recueil Sagesse.
Paul Verlaine, né en 1844 à Metz et mort à Paris en 1896, incarne la figure tourmentée du poète maudit, dont l’œuvre oscille entre passion et spiritualité. Après des débuts marqués par les Poèmes saturniens (1866) et les Fêtes galantes (1869), où se mêlent influences baudelairiennes et légèreté galante, sa vie bascule en 1871 avec sa rencontre explosive avec Arthur Rimbaud. Leur liaison tumultueuse, ponctuée de voyages chaotiques et de violences, culmine avec l’emprisonnement de Verlaine pour avoir blessé Rimbaud d’un coup de revolver. C’est durant sa détention à Mons qu’il compose Sagesse (1881), recueil marqué par sa conversion mystique, où figure Écoutez la chanson bien douce. Ce poème, tout en fluidité musicale caractéristique de Verlaine, transcende les tourments personnels pour chanter un amour apaisé, mêlant mélancolie et espérance. Les vers « Que la bonté c’est notre vie » et « rien n’est meilleur à l’âme / Que de faire une âme moins triste » révèlent une sagesse conquise dans la douleur, où la simplicité devient antidote aux excès passés. Malgré une existence marquée par l’alcool et la marginalité, Verlaine y atteint une forme de sérénité, prouvant que ses poèmes d’amour — qu’ils soient ardents ou résignés — traversent les époques par leur vérité nue et leur rythme envoûtant.