Fadaises - Paul Verlaine

Daignez souffrir qu’à vos genoux, Madame,

Mon pauvre cœur vous explique sa flamme.

 

Je vous adore autant et plus que Dieu,

Et rien jamais n’éteindra ce beau feu.

 

Votre regard, profond et rempli d’ombre,

Me fait joyeux, s’il brille, et sinon, sombre.

 

Quand vous passez, je baise le chemin,

Et vous tenez mon cœur dans votre main.

 

Seule, en son nid, pleure la tourterelle.

Las, je suis seul et je pleure comme elle.

 

L’aube, au matin ressuscite les fleurs,

Et votre vue apaise les douleurs.

 

Disparaissez, toute floraison cesse,

Et, loin de vous, s’établit la tristesse.

 

Apparaissez, la verdure et les fleurs

Aux prés, aux bois, diaprent leurs couleurs.

 

Si vous voulez, Madame et bien-aimée,

Si tu voulais, sous la verte ramée,

 

Nous en aller, bras dessus, bras dessous,

Dieu ! Quels baisers ! Et quels propos de fous !

 

Mais non ! Toujours vous vous montrez revêche,

Et cependant je brûle et me dessèche,

 

Et le désir me talonne et me mord,

Car je vous aime, ô Madame la Mort !

 

Publié en 1884 dans le recueil Jadis et Naguère

Paul Verlaine (1844-1896), figure majeure de la poésie française, a marqué la littérature par son exploration des nuances de l’amour, entre passion et désespoir. Né à Metz dans une famille bourgeoise, il publie dès 22 ans ses Poèmes saturniens, révélant un style fluide et musical qui caractérise son œuvre. Sa vie tumultueuse – marquée par sa relation orageuse avec Arthur Rimbaud, son emprisonnement après une violente dispute, et ses luttes contre l’alcoolisme – se reflète dans ses vers où l’émotion brute côtoie une sensibilité mystique.

Le poème Fadaises, publié dans Jadis et Naguère en 1884, incarne cette dualité. Adressé à une « Madame la Mort », il mêle déclaration d’amour exaltée (« Je vous adore autant et plus que Dieu ») et désespoir existentiel (« je brûle et me dessèche »). Verlaine y déploie des images contrastées – aube ressuscitant les fleurs contre tristesse liée à l’absence –, illustrant sa capacité à transformer les tourments personnels en une poésie universelle. Le recours aux rythmes impairs et aux métaphores naturelles (tourterelle, verdure) souligne son art de la musicalité verbale, influençant durablement le symbolisme. Même dans ses excès, Verlaine reste le poète qui, selon ses mots, préférait « de la musique avant toute chose ».

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