Fantoches - Paul Verlaine
Scaramouche et Pulcinella,
Qu’un mauvais dessein rassembla,
Gesticulent, noirs sur la lune.
Cependant l’excellent docteur
Bolonais cueille avec lenteur
Des simples parmi l’herbe brune.
Lors sa fille, piquant minois,
Sous la charmille en tapinois
Se glisse demi-nue, en quête
De son beau pirate espagnol,
Dont un langoureux rossignol
Clame la détresse à tue-tête.
Publié en 1869 dans le recueil Fêtes galantes.
Né en 1844 à Metz, Paul Verlaine incarne l’âme tourmentée d’un poète pour qui l’amour fut à la fois une muse et une blessure. Publié en 1869 dans Fêtes galantes, son recueil le plus célèbre, le poème « Fantoches » déploie un théâtre miniature où Scaramouche et Pulcinella, figures de la commedia dell’arte, dansent sous la lune dans une intrigue mêlant badinage et clandestinité. Ces marionnettes humaines, guidées par un « mauvais dessein », symbolisent les jeux de séduction et les masques sociaux qui traversent les siècles, tandis que la fille du docteur bolonais, à demi nue sous les charmilles, incarne le désir éternellement fuyant. Verlaine, influencé par les peintures galantes du XVIIIe siècle d’Antoine Watteau, y capture l’essence d’un amour à la fois léger et mélancolique, où les rires dissimulent souvent un « cœur tendre » affranchi des serments. Sa propre vie, marquée par des passions tumultueuses – comme celle avec Arthur Rimbaud –, se reflète dans cette tension entre apparence frivole et profondeur émotionnelle. Fêtes galantes, souvent lu comme une ode à la sensualité, révèle en réalité la quête d’un idéal amoureux insaisissable, où même les pirateries sentimentales du « beau pirate espagnol » restent prisonnières du chant plaintif d’un rossignol. Par son mélange de musicalité et d’ambiguïté, Verlaine transforme le poème d’amour en une partition intemporelle, jouée sur la corde fragile du désir et de la nostalgie.