Invocation à la lune - Renée Vivien

Ô Lune chasseresse aux flèches très légères,

Viens détruire d’un trait mes amours mensongères !

Viens détruire les faux baisers, les faux espoirs,

Toi dont les traits ont su percer les troupeaux noirs !

 

Toi qui fus autrefois l’Amie et la Maîtresse,

Incline-toi vers moi, dans ma grande détresse !…

Dis-moi que nul regard n’est divinement beau

Pour qui sait contempler le grand regard de l’eau !…

 

Ô Lune, toi qui sais disperser les mensonges,

Éloigne le troupeau serré des mauvais songes !

Et, daignant aiguiser l’arc d’argent bleu qui luit,

Accorde-moi l’espoir d’un rayon dans la nuit !

 

Ô Lune, toi qui sais rendre l’âme à soi-même

Dans sa vérité froide, indifférente et blême !

Ô toi, victorieuse adversaire du jour,

Accorde-moi le don d’échapper à l’amour !

 

Publié en 1910 dans le recueil Dans un coin de violettes

Portrait de Renée VivienRenée Vivien, de son vrai nom Pauline Mary Tarn (1877-1909), poétesse britannique écrivant en français, incarne l’audace littéraire et amoureuse de la Belle Époque. Installée à Paris dès 1899, elle y cultive une esthétique symboliste et sapphique, célébrant l’amour entre femmes avec une intensité lyrique rare. Son recueil Dans un coin de violettes (1910) révèle une quête de vérité au cœur des tourments passionnels, comme en témoigne Invocation à la lune. Ce poème, adressé à l’astre nocturne, mêle désillusion et espoir : la Lune y est invoquée pour anéantir les « amours mensongères » et les « faux baisers », symbolisant à la fois la froide lucidité et la libération des illusions. Vivien y déploie son art du paradoxe, oscillant entre l’appel à la destruction des passions (« détruire d’un trait mes amours mensongères ») et la recherche d’une transcendance apaisante (« accorde-moi l’espoir d’un rayon dans la nuit »). Par ce dialogue avec la Lune, allégorie de clairvoyance, elle inscrit sa détresse amoureuse dans une universalité poétique, faisant de ce texte un hymne intemporel à la complexité du désir.

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