J’ai quelqu’un dans le coeur… - Francis Jammes
« J’ai quelqu’un dans le cœur », deviez-vous dire un jour
à ceux qui vous proposeraient un autre amour.
« J’ai quelqu’un dans le cœur. » Et ce quelqu’un, c’est moi.
« J’ai quelqu’un dans le cœur. » Je pensais à cela,
à ces mots infinis par lesquels vous donniez
votre cœur à mon cœur, ô lierre qui mouriez…
Et je ne sais pourquoi, songeant à votre cœur,
je le voyais pareil au cœur frais d’une fleur,
à la fleur du cœur frais d’une rose de haie.
Publié en 1906 dans le recueil Clairières dans le ciel
Francis Jammes (1868-1938), poète béarnais au lyrisme rustique et sincère, a ciselé dans Clairières dans le ciel (1906) l’un de ses plus émouvants poèmes d’amour, « J’ai quelqu’un dans le cœur… ». Né à Tournay et mort à Hasparren, cet amoureux de la nature pyrénéenne transfigure les sentiments intimes en paysages organiques : le cœur aimé devient « la fleur du cœur frais d’une rose de haie », mêlant dévotion amoureuse et émerveillement botanique. Converti au catholicisme sous l’influence de Paul Claudel, Jammes intègre à sa poésie une spiritualité discrète où l’amour humain se teinte d’éternité. Le poème, adressé à une bien-aimée absente, joue de la répétition incantatoire – « J’ai quelqu’un dans le cœur » – pour sceller une fidélité hors du temps, comparant leur lien au lierre qui enlace les murs décrépits. Cette écriture sans apprêt, reflet du « jammisme » prônant la simplicité, explique pourquoi ses vers continuent de parler aux âmes modernes : enracinés dans le concret d’une vie provinciale, ils élèvent le quotidien à la hauteur d’un mystère universel.