Le baiser (II) - Germain Nouveau
Comme une ville qui s’allume
Et que le vent achève d’embraser,
Tout mon cœur brûle et se consume,
J’ai soif, oh ! j’ai soif d’un baiser.
Baiser de la bouche et des lèvres
Où notre amour vient se poser,
Plein de délices et de fièvres,
Ah ! j’ai soif, j’ai soif d’un baiser !
Baiser multiplié que l’homme
Ne pourra jamais épuiser,
Ô toi, que tout mon être nomme,
J’ai soif, oui, j’ai soif d’un baiser.
Fruit doux où la lèvre s’amuse,
Beau fruit qui rit de s’écraser,
Qu’il se donne ou qu’il se refuse,
Je veux vivre pour ce baiser.
Baiser d’amour qui règne et sonne
Au cœur battant à se briser,
Qu’il se refuse ou qu’il se donne,
Je veux mourir de ce baiser.
Publié en 1885 dans le recueil Valentines.
Germain Nouveau (1851-1920), poète provençal méconnu du grand public mais célébré par les surréalistes, incarne l’ambiguïté d’une vie partagée entre mysticisme et passion charnelle. Proche de Rimbaud et Verlaine, il collabora aux Illuminations avant de développer une voix unique, mêlant l’exaltation amoureuse à une quête spirituelle. Son poème « Le baiser (II) », extrait du recueil Valentines (1885), cristallise cette dualité : les octosyllabes enflammés (« Tout mon cœur brûle et se consume ») dépeignent le désir comme une force cosmique, comparant le baiser à un incendie urbain ou à un fruit mûr prêt à s’écraser. La répétition obsessionnelle de « j’ai soif » et le chiasme final (« Je veux vivre […] Je veux mourir ») transforcent cet instant érotique en expérience mystique, où la sensualité devient sacrement. Paradoxalement écrit par un homme qui finira reclus dans son village natal après une conversion religieuse, ce texte révèle comment Nouveau éleva l’amour humain au rang de langage universel – raison pour laquelle Aragon le considérait comme l’égal de Rimbaud. Aujourd’hui encore, ces vers brûlants, publiés contre sa volonté, continuent d’embraser les lecteurs bien au-delà des cercles symbolistes.