Le couchant adoucit - Renée Vivien

Le couchant adoucit le sourire du ciel.

La nuit vient gravement, ainsi qu’une prêtresse.

La brise a dérouté, d’un geste de caresse,

Tes cheveux aux blondeurs de maïs et de miel.

 

Tes lèvres ont gardé le pli de la parole

Dont mon rêve attentif s’est longtemps enchanté.

Une voix de souffrance et d’extase a chanté

Dans l’ombre d’où l’encens des fleurs blanches s’envole.

 

Ta robe a des frissons de festins somptueux,

Et, sous la majesté de la noble parure,

Fleurit, enveloppé d’haleines de luxure,

Lys profane, ton corps pâle et voluptueux.

 

Ta prunelle aux bleus frais s’alanguit et se pâme.

Je vois, dans tes regards pareils aux tristes cieux,

Dans cette pureté dernière de tes yeux,

La forme endolorie et lasse de ton âme.

 

Là-bas s’apaise enfin l’essaim d’or des guêpiers.

Parmi tes rythmes morts et tes splendeurs éteintes,

Tu frôles sans tes voir les frêles hyacinthes

Qui se meurent d’amour, ayant touché tes pieds

 

Publié en 1901 dans le recueil Études et Préludes, Alphonse Lemerre., (p. 15-16).

Portrait de Renée VivienRenée Vivien, de son vrai nom Pauline Mary Tarn (1877-1909), incarne la figure paradoxale d’une poétesse anglaise de langue française dont l’œuvre explore les méandres de l’amour lesbien avec une intensité romantique. Installée à Paris dès 1899, cette héritière fortunée transforme sa vie en laboratoire poétique où chaque passion – de Natalie Barney à la baronne Hélène de Zuylen – se mue en matière littéraire. Son poème Le couchant adoucit, tiré du recueil Études et Préludes (1901), condense son art du paysage émotionnel : les couchers de soleil y deviennent des métaphores des états d’âme, tandis que la description sensuelle de l’aimée (« Lys profane, ton corps pâle et voluptueux ») mêle sacré et désir charnel. Par son hendécasyllabe musical et ses images symbolistes (nuit « gravement » descendante comme une prêtresse, hyacinthes mourant d’amour), Vivien transcende l’anecdote biographique pour atteindre l’universel. Ce texte, comme l’ensemble de sa production, réinvente la tradition sapphique en y injectant une mélancolie fin-de-siècle qui continue de résonner aujourd’hui.

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