Le Labyrinthe - Renée Vivien

J’erre au fond d’un savant et cruel labyrinthe…

Je n’ai pour mon salut qu’un douloureux orgueil.

Voici que vient la Nuit aux cheveux d’hyacinthe,

Et je m’égare au fond du cruel labyrinthe,

Ô Maîtresse qui fus ma ruine et mon deuil.

 

Mon amour hypocrite et ma haine cynique

Sont deux spectres qui vont, ivres de désespoir ;

Leurs lèvres ont ce pli que le rictus complique :

Mon amour hypocrite et ma haine cynique

Sont deux spectres damnés qui rôdent dans le soir.

 

J’erre au fond d’un savant et cruel labyrinthe,

Et mes pieds, las d’errer, s’éloignent de ton seuil.

Sur mon front brûle encor la fièvre mal éteinte…

Dans l’ambiguïté grise du Labyrinthe,

J’emporte mon remords, ma ruine et mon deuil…

 

Publié en 1904 dans le recueil La Vénus des Aveugles, Alphonse Lemerre, éditeur, (p. 121-122).

Portrait de Renée VivienRenée Vivien, de son vrai nom Pauline Mary Tarn (1877-1909), incarne la figure paradoxale d’une poétesse anglo-américaine devenue icône littéraire parisienne. Née à Londres dans un milieu aisé, elle choisit le français pour exprimer ses tourments amoureux teintés de symbolisme et de décadentisme. Son poème Le Labyrinthe (1904) cristallise cette quête existentielle à travers une métaphore filée de l’amour impossible : « J’erre au fond d’un savant et cruel labyrinthe » traduit à la fois la complexité de ses relations saphiques avec Natalie Barney et la baronne Hélène de Zuylen, et sa lutte contre les conventions sociales victoriennes. Le vers « Mon amour hypocrite et ma haine cynique » révèle la tension entre désir et désillusion qui traverse son œuvre, marquée par l’alcoolisme et une mort précoce à 32 ans. Surnommée « Sapho 1900 », Vivien réinvente le lyrisme amoureux par des images cruelles (« la Nuit aux cheveux d’hyacinthe ») où l’érotisme se mêle à la mélancolie fin-de-siècle, faisant d’elle une pionnière de la poésie queer.

Panier
Retour en haut