Le Pont Mirabeau - Guillaume Apollinaire
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Publié en 1913 dans le recueil Alcools
Guillaume Apollinaire (1880-1918), poète français aux origines polono-italiennes, a marqué la littérature du XXᵉ siècle par son audace créative et ses vers empreints de mélancolie. Figure clé du cubisme et précurseur du surréalisme, il transforme l’expérience amoureuse en une quête poétique universelle. Son recueil Alcools (1913) cristallise cette vision, notamment dans Le Pont Mirabeau, où la Seine devient le symbole des amours éphémères face au temps inflexible. Écrit après sa rupture avec Marie Laurencin, le poème entrelace douceur et désillusion : « Et nos amours / Faut-il qu’il m’en souvienne » évoque autant la blessure intime que la fatalité des passions humaines. Par son refrain hypnotique – « Les jours s’en vont je demeure » –, Apollinaire capture l’éternel paradoxe entre la permanence du souvenir et la fuite des sentiments. Ce dialogue entre l’eau courante et la structure immuable du pont Mirabeau révèle sa maîtrise des métaphores, faisant de ce texte un hymne intemporel sur la résilience cœur. Même cent ans plus tard, ces vers continuent de résonner, prouvant que la poésie amoureuse transcende les époques quand elle puise à la source de l’authenticité.