Le temps d’Adonis - Paul-Jean Toulet
Dans la saison qu’Adonis fut blessé,
Mon coeur aussi de l’atteinte soudaine
D’un regard lancé.
Hors de l’abyme où le temps nous entraîne,
T’évoquerai-je, ô belle, en vain – ô vaines
Ombres, souvenirs.
Ah ! dans mes bras qui pleurais demi-nue,
Certe serais encore, à revenir,
Ah ! la bienvenue.
Publié en 1915 dans le recueil Romances sans musique
Paul-Jean Toulet (1867-1920), poète béarnais à l’esprit caustique et à la sensibilité mélancolique, incarne l’art de la concision poétique à travers des œuvres où l’amour se mêle à une ironie teintée de désenchantement. Figure singulière de la Belle Époque, il forge un style unique dans Romances sans musique (1915), recueil où Le temps d’Adonis déploie une grâce antique pour évoquer les tourments passionnés. Ce poème, tissé de mythologie et de confidence intime, compare la blessure d’amour du narrateur à celle d’Adonis – symbole éternel de la beauté éphémère –, transformant une expérience personnelle en chant universel. Par son jeu subtil entre images funèbres (« l’abyme où le temps nous entraîne ») et sensualité troublante (« demi-nue »), Toulet y capture l’essence paradoxale du désir : à la fois souvenir spectral et appel vibrant vers l’absent. Son écriture ciselée, où chaque vers porte l’empreinte d’un classicisme réinventé, assure à ces évocations amoureuses une résonance intemporelle, comme suspendue entre le raffinement précieux et la modernité discrète du XXe siècle naissant.