Le tremble est blanc - Paul-Jean Toulet
Le temps irrévocable a fui. L’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
A travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah ! verrai-je encor se farder ton visage
D’ombre et de soleil ?
Publié en 1921 dans le recueil Les Contrerimes
Paul-Jean Toulet (1867–1920), né à Pau et mort à Guéthary, incarne l’esprit mélancolique et raffiné de la Belle Époque. Ce dandy béarnais, marqué par une existence tumultueuse entre voyages, excès et quête de beauté éphémère, forgea une poésie intime où l’amour se teinte de nostalgie. Son recueil Les Contrerimes (1921), publié après sa mort, révèle une forme innovante mêlant vers libres et jeux de rimes inversées, comme en témoigne Le tremble est blanc. Ce poème, oscillant entre rêve et mémoire, évoque une femme insaisissable dont le visage se farde « d’ombre et de soleil » au gré des nuages. L’automne, le tremble argenté et les fleurs embaumées y symbolisent la fugacité des sentiments, reflet d’un lyrisme ironique et tendre. Toulet, proche des poètes fantaisistes, transforme sa propre désillusion en une esthétique délicate où chaque mot, ciselé, transcende le temps. Son œuvre, nourrie de mélancolie et de fulgurances sensuelles, reste un joyau des lettres françaises.