Le vin de l’Amour - Théodore de Banville
Accablé de soif, l’Amour
Se plaignait, pâle de rage,
A tous les bois d’alentour.
Alors il vit, sous l’ombrage,
Des enfants à l’oeil d’azur
Lui présenter un lait pur
Et les noirs raisins des treilles.
Mais il leur dit : Laissez-moi,
Vous qui jouez sans effroi,
Enfants aux lèvres vermeilles !
Petits enfants ingénus
Qui folâtrez demi-nus,
Ne touchez pas à mes armes.
Le lait pur et le doux vin
Pour moi ruissellent en vain :
Je bois du sang et des larmes.
Publié au XIXème siècle dans le recueil Le sang de la coupe
Théodore de Banville, né en 1823 à Moulins et mort à Paris en 1891, incarne l’élégance intemporelle de la poésie française du XIXᵉ siècle. Fils d’un lieutenant de vaisseau, il se forge très jeune une réputation littéraire en publiant Les Cariatides à 19 ans, avant de devenir une figure centrale du mouvement parnassien, aux côtés de Victor Hugo et Baudelaire. Admiré pour son culte de la beauté formelle et son rejet du lyrisme larmoyant, il explore l’amour sous ses facettes les plus contrastées. Son poème Le vin de l’Amour, extrait du recueil Le sang de la coupe, révèle cette dualité : face à des enfants innocents offrant du lait et des raisins, l’Amour refuse ces douceurs pour déclarer « Je bois du sang et des larmes ». Ce dialogue entre pureté et passion tourmentée, typique de son style, illustre sa capacité à transcender les émotions universelles par des images saisissantes. Critique influent et découvreur de talents comme Rimbaud, Banville marqua son époque en défendant une poésie où la perfection technique sert l’expression des sentiments les plus profonds.