Lou est un enfant charmant - Guillaume Apollinaire

Lou est un enfant charmant

petit Lou au bon cœur

Il y a aussi des libellules bleues

Lou est la huitième merveille du monde

 

Lierre Herbe de la tendresse

Lierre Herbe de la fidélité

 

Avions de cristal beaux fruits du ciel qui chante

 

Simple douceur des nues si blanches et si rondes

Ce fut une heure de départ ! secteur…

Ceci c’est ma prière bleue vers toi

Et c’est aussi mon délice

Que ce soit toi que je veuille

 

1915

Soldats de faïence et d’escarboucle

Ô AMOUR

 

Est-il temps de monter plus haut que notre idéal

Les heures sont de belles filles langoureuse

Le printemps défleuri s’éloigne

Là-bas bas et se tourne parfois encore pour me sourire

Et dans les champs les coquelicots se fanent en se violaçant

Et en répendant une odeur opiacé

Je contemple ton absenbce et ton silence

Mais tu tiens à moi par mille liens subtils

Mon imagination royale allume ses millions d’astres

À ta flamboyante divinité des délices

Non ! je ne veux pas fermer pendant la contemplation

Les neufs portes des sens

Et leur ouverture se dirige et se prolonge

Jusqu’à toi et ton délice

Le jour n’est plus. Il est temps que j’aille à la rivière me baigner.

 

et cette onde est pleine d’herbes

aussi fallaces que ton regard

tandis qu’éclate un artifice meurtrier

et qu’un incendie teint la nuit de couleur cerise

Cueille vite cette fleur

Prends vite le lambeau de nuage que je te donne

Lou

Dans cette nuit profonde de juin adorable

 

Je suis ici pour te chanter des chansons

En combattant

Je te couvrirai de trophées

J’attends seulement l’amour

Mort, tes servants sont à leurs postes

Mes chants t’ont appelée toute ma vie

Mon chant est nu, il a dépouillé ses parures

Écris-moi vite, Lou, de belle belles choses

Vie de ma vie, je baise votre main

 

Courmelois, le 21 juin 1915

 

Publié en 1955 dans le recueil Poèmes à Lou

Portrait de Guillaume ApollinaireGuillaume Apollinaire, figure majeure de la poésie moderne française, inscrit son nom dans l’histoire des amours littéraires avec les Poèmes à Lou, écrits entre 1914 et 1915 pour Louise de Coligny-Châtillon. Ce recueil posthume publié en 1955 révèle une alchimie singulière entre l’urgence guerrière et l’éternité du sentiment amoureux. Le poème Lou est un enfant charmant cristallise cette tension existentielle où « les libellules bleues » du désir dansent autour des « soldats de faïence et d’escarboucle » du front.

Apollinaire y tisse une mythologie personnelle où Lou devient « la huitième merveille du monde », sanctuaire vivant d’une tendresse qui transcende les obus. Le lierre, double symbole de fidélité et de dépendance affective, enserre ces vers comme une armure végétale contre l’absurdité meurtrière. Par un jeu de métaphores cosmiques – « avions de cristal », « nuées si rondes » -, le poète transforme l’horreur des tranchées en paysage onirique où persiste le sourire printanier de l’aimée.

Cette correspondance amoureuse née sous les bombes atteint son paroxysme dans l’image du « lambeau de nuage » offert comme relique poétique, ultime preuve d’un dialogue intime resistant à la « nuit cerise » des combats. Le poème se clôt sur une scène de baignade nocturne où l’onde traîtresse mêle eros et thanatos, signature apollinarienne d’une sensualité toujours hantée par l’ombre de la mort. Par ce chant « nu » dépouillé de rhétorique, Apollinaire invente une langue amoureuse qui influence encore la poésie contemporaine.

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