Lou ma rose - Guillaume Apollinaire
Lou, tu es ma rose
Ton derrière merveilleux n’est-ce pas la plus belle rose
Tes seins tes seins chéris ne sont-ce pas des roses
Et les roses ne sont-ce pas de jolis ptits Lous
Que l’on fouette comme la brise
Fustige les fesses des roses dans le jardin
Abandonné
Lou ma rose ou plutôt mes roses
Tu m’as envoyé des feuilles de rose
Ô petite déesse
Tu crées les roses
Et tu fais les feuilles de roses
Roses
Petites femmes à poil qui se baladent
Gentiment
Elles se baladent en robe de satin
Sur des escarpolettes
Elles chantent le plus beau parfum, le plus fort le plus doux
Lou ma rose ô ma perfection je t’aime
Et c’est avec joie que je risque de me piquer
En faveur de ta beauté
Je t’aime, je t’adore, je mordille tes feuilles de rose
Rose, reine des fleurs, Lou reine des femmes
Je te porte au bout des doigts ô Lou, ô rose
Au bout des doigts, en te faisant menotte
Jusqu’à ce que tu t’évanouisses
Comme s’évanouit le parfum
Des roses
Je t’embrasse, ô Lou et je t’adore
Courmelois, le 2 juin 1915
Publié en 1955 dans le recueil Poèmes à Lou
Né Wilhelm Albert Włodzimierz Apolinary Kostrowicki en 1880, Guillaume Apollinaire incarne l’âme vibrante de la poésie amoureuse moderne. Son cycle Poèmes à Lou (1915), écrit dans l’enfer des tranchées de la Première Guerre mondiale, transfigure sa passion pour Louise de Coligny-Châtillon en une odyssée florale où « chaque pétale devient un aveu ». Le poème Lou ma rose déploie un jardin métaphorique où le corps aimé se mue en rosace sensuelle : « Ton derrière merveilleux n’est-ce pas la plus belle rose ». Par un jeu audacieux de correspondances, le poète fusionne l’érotisme et le lyrisme botanique, faisant de sa muse à la fois une déesse créatrice (« Tu crées les roses ») et une fleur à la fragile éternité (« Comme s’évanouit le parfum des roses »). Cette alchimie verbale, écrite à Courmelois le 2 juin 1915 sous les bombardements, révèle comment l’amour transfigure la violence du monde – le poète acceptant de « risquer de [se] piquer » pour sa « reine des femmes ». Publiés à titre posthume en 1955, ces vers restent un testament bouleversant de l’art d’Apollinaire : métamorphoser les blessures de l’histoire en floraisons intemporelles.