Ô ma douce moitié - Pierre de Ronsard
Chanson.
Voulant, ô ma douce moitié,
T’assurer que mon amitié
Ne se verra jamais finie,
Je fis, pour t’en assurer mieux
Un serment juré par mes yeux
Et par mon cœur et par ma vie.
Tu jures ce qui n’est à toi ;
Ton cœur et tes yeux sont à moi
D’une promesse irrévocable,
Ce médis-tu. Hélas ! au moins
Reçoit mes larmes pour témoins
Que ma parole est véritable !
Alors, Belle, tu me baisas,
Et doucement désattisas
Mon feu, d’un gracieux visage :
Puis tu fis signe de ton œil,
Que tu recevais bien mon deuil
Et mes larmes pour témoignage.
Publié en 1587 dans le recueil Poésies diverses.
Né en 1524 au château de la Poissonnière, Pierre de Ronsard, figure majeure de la Renaissance française, incarne l’union entre la passion poétique et l’ambition humaniste. Issu d’une famille de petite noblesse, il se destinait à une carrière diplomatique avant qu’une surdité précoce ne le contraigne à embrasser les lettres. Ce revirement le propulsa au cœur de la Pléiade, groupe littéraire dont le manifeste, Défense et illustration de la langue française (1549), visait à enrichir le français par l’imitation des modèles antiques. Si ses Odes (1550) le consacrèrent comme « prince des poètes », c’est dans ses recueils amoureux — des Amours de Cassandre aux Sonnets pour Hélène — que son génie lyrique s’épanouit pleinement, mêlant pétrarquisme et sensualité.
Le poème Ô ma douce moitié, publié en 1587 dans Poésies diverses, illustre cette alchimie entre tradition et innovation. Structuré comme une chanson, il déploie un dialogue intime où le serment amoureux se heurte au doute, avant de se résoudre dans un baiser apaisant. Ronsard y joue des antithèses entre les « larmes » du poète et le « gracieux visage » de la bien-aimée, transformant le conflit émotionnel en preuve tangible d’affection. L’usage récurrent des termes « cœur », « yeux » et « vie » ancre le texte dans une corporalité symbolique, typique de sa volonté de donner chair aux sentiments.
Ce jeu sur les dualités — sincérité versus méfiance, parole versus geste — révèle une conception de l’amour à la fois fragile et indestructible. En faisant des larmes des « témoins » de sa constance, Ronsard dépasse le topos pétrarquiste de la souffrance pour en faire un gage d’authenticité. La résolution finale, où le baiser éteint le « feu » de l’inquiétude, évoque moins une paix durable qu’un équilibre momentané, soulignant la tension permanente entre désir et crainte qui innerve ses œuvres.
Par sa simplicité formelle et sa profondeur psychologique, Ô ma douce moitié synthétise l’héritage ronsardien : un humanisme sensible, où la poésie devient l’art de cristalliser l’éphémère en éternité.