Orgueil d’aimer - François Coppée
Hélas ! la chimère s’envole
Et l’espoir ne m’est plus permis ;
Mais je défends qu’on me console.
Ne me plaignez pas, mes amis.
J’aime ma peine intérieure
Et l’accepte d’un coeur soumis.
Ma part est encor la meilleure
Puisque mon amour m’est resté ;
Ne me plaignez pas si j’en pleure.
A votre lampe, aux soirs d’été,
Les papillons couleur de soufre
Meurent pour avoir palpité.
Ainsi mon amour, comme un gouffre,
M’entraîne et je vais m’engloutir ;
Ne me plaignez pas si j’en souffre.
Car je ne puis me repentir,
Et dans la torture subie
J’ai la volupté du martyr ;
Et s’il faut y laisser ma vie,
Ce sera sans lâches clameurs.
J’aime ! j’aime et veux qu’on m’envie !
Ne me plaignez pas si j’en meurs.
Publié en 1877 dans le recueil L’Exilée
François Coppée (1842-1908), poète parnassien puis chantre des humbles, marqua la littérature française par son évolution d’une poésie formelle vers un lyrisme intimiste teinté de réalisme. Né à Paris, cet ancien employé du ministère de la Guerre trouva sa voie dans l’écriture avec des recueils comme Les Intimités (1867) et Les Humbles (1872), où il dépeignait avec simplicité les émotions du quotidien. Son poème Orgueil d’aimer, extrait du recueil L’Exilée (1877), incarne cette tension entre souffrance amoureuse et fierté stoïque : « J’aime ma peine intérieure / Et l’accepte d’un cœur soumis ». À travers des métaphores violentes (« mon amour, comme un gouffre, / M’entraîne et je vais m’engloutir »), Coppée transforme la douleur en acte de résistance, revendiquant jusqu’à la mort une passion sans compromis. Élu à l’Académie française en 1884, il laisse une œuvre où l’amour se révèle moins dans l’exaltation que dans l’endurance silencieuse, faisant de lui un passeur entre le romantisme flamboyant et le symbolisme naissant.