Prête aux baisers résurrecteurs - Paul Eluard
Pauvre je ne peux pas vivre dans l’ignorance
Il me faut voir entendre et abuser
T’entendre nue et te voir nue
Pour abuser de tes caresses
Par bonheur ou par malheur
Je connais ton secret pas coeur
Toutes les portes de ton empire
Celle des yeux celle des mains
Des seins et de ta bouche où chaque langue fond
ET la porte du temps ouverte entre tes jambes
La fleur des nuits d’été aux lèvres de la foudre
Au seuil du paysage où la fleur rit et pleure
Tout en gardant cette pâleur de perle morte
Tout en donnant ton coeur tout en ouvrant tes jambes
Tu es comme la mer tu berces les étoiles
Tu es le champ d’amour tu lies et tu sépares
Les amants et les fous
Tu es la faim le pain la soif l’ivresse haute
Et le dernier mariage entre rêve et vertu.
Publié le 16 juin 1947 dans les Cahiers de l’Art
Paul Éluard, né Eugène Grindel en 1895 à Saint-Denis, fut un poète emblématique du surréalisme français dont l’œuvre brûlante mêle passion amoureuse et engagement politique. Atteint de tuberculose dès l’adolescence, il trouve dans la poésie un exutoire à ses souffrances physiques et émotionnelles. Sa rencontre avec Gala, sa première épouse et muse, marque le début d’une carrière marquée par des relations intenses – comme avec Nusch, sa compagne jusqu’à sa mort en 1946 – qui nourrissent ses écrits. Son poème Prête aux baisers résurrecteurs (1947), avec ses images sensuelles (« T’entendre nue et te voir nue », « Ta bouche où chaque langue fond »), incarne son approche de l’amour comme force vitale et révolutionnaire. Publié pendant la guerre, il reflète aussi son combat pour la liberté, thème central de son œuvre. Éluard, exclu du Parti communiste en 1933 mais toujours militant, voit dans l’amour un moyen de transcender les épreuves – guerre, maladie, deuils – en le célébrant comme « le dernier mariage entre rêve et vertu ». Son style, alliant simplicité et puissance visuelle, a fait de lui un grand chantre de l’amour intemporel, où la chair et le mystique fusionnent dans une étreinte universelle.