Rappelle toi - Alfred de Musset
(Vergiss mein nicht)
(Paroles faites sur la musique de Mozart)
Rappelle-toi, quand l’Aurore craintive
Ouvre au Soleil son palais enchanté ;
Rappelle-toi, lorsque la nuit pensive
Passe en rêvant sous son voile argenté ;
A l’appel du plaisir lorsque ton sein palpite,
Aux doux songes du soir lorsque l’ombre t’invite,
Ecoute au fond des bois
Murmurer une voix :
Rappelle-toi.
Rappelle-toi, lorsque les destinées
M’auront de toi pour jamais séparé,
Quand le chagrin, l’exil et les années
Auront flétri ce coeur désespéré ;
Songe à mon triste amour, songe à l’adieu suprême !
L’absence ni le temps ne sont rien quand on aime.
Tant que mon coeur battra,
Toujours il te dira
Rappelle-toi.
Rappelle-toi, quand sous la froide terre
Mon coeur brisé pour toujours dormira ;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s’ouvrira.
Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une soeur fidèle.
Ecoute, dans la nuit,
Une voix qui gémit :
Rappelle-toi.
Publié en 1850 dans le recueil Poésies nouvelles.
Alfred de Musset, né en 1810 et mort en 1857, incarne l’âme mélancolique du romantisme français avec une sensibilité qui traverse les siècles. Son poème Rappelle-toi, composé sur la musique de Mozart et publié posthume en 1850, cristallise son talent pour immortaliser l’amour dans ses nuances les plus intimes. L’œuvre, structurée autour du refrain insistant « Rappelle-toi », invite à une méditation sur la mémoire et la fidélité, même face à l’absence, au temps ou à la mort. Musset y mêle des images poétiques – l’aurore craintive, les bois qui murmurent, la fleur solitaire sur un tombeau – pour évoquer une passion qui persiste au-delà de la séparation physique. Cette peur de l’oubli, récurrente dans son œuvre, reflète ses propres expériences amoureuses tumultueuses, notamment sa liaison passionnelle et destructrice avec George Sand. Rappelle-toi révèle ainsi un paradoxe central de l’amour : son essence éternelle coexiste avec la fragilité des liens terrestres. Le poète, souvent associé à une bohème artistique, laisse ici une trace indélébile de l’universel humain – l’espoir que l’amour survive à tout, même à l’effacement du souvenir.