Renoncement - Louise Ackermann
Depuis que sous les cieux un doux rayon colore
Ma jeunesse en sa fleur, ouverte aux feux du jour,
Si mon cœur a rêvé, si mon cœur rêve encore
Le choix irrévocable et l’éternel amour,
C’est qu’aux jours périlleux, toujours prudent et sage,
Au plus digne entre tous réservant son trésor,
Quand un charme pourrait l’arrêter au passage,
Il s’éloigne craintif et se dit : « Pas encor ! »
Pas encore ! et j’attends, car en un choix si tendre
Se tromper est amer et cause bien des pleurs.
Ah ! si mon âme allait, trop facile à s’éprendre,
À l’entour d’un mensonge épanouir ses fleurs !
Non, non ! Restons plutôt dans notre indifférence.
Sacrifice… en bien, soit ! tu seras consommé.
Après tout, si l’amour n’est qu’erreur et souffrance,
Un cœur peut être fier de n’avoir point aimé.
Port-Royal-des-Champs, juin 1841.
Publié en 1871 dans le recueil Premières poésies
Louise Ackermann (1813-1890), née Louise-Victorine Choquet, incarne une figure littéraire atypique du XIXe siècle, alliant rigueur intellectuelle et poésie profondément introspective. Élevée par un père encyclopédiste et une mère religieuse dans une enfance solitaire, elle développe tôt une sensibilité aux idées philosophiques et une écriture marquée par le pessimisme rationaliste. Après un mariage de convenance avec Paul Ackermann, un pasteur allemand décédé deux ans plus tard, elle se retire près de Nice, où son isolement nourrit une œuvre poétique explorant les tourments existentiels. Renoncement (1841), publié dans Premières poésies (1871), résume son approche du désir amoureux : plaidoyer pour une retenue face aux illusions de l’amour, crainte des déceptions et choix de l’indifférence comme protection contre la souffrance. Ce poème, où « l’éternel amour » est perçu comme une mélancolie inévitable, reflète son refus des rêveries romantiques au profit d’une lucidité presque scientifique, caractéristique de son style. Ackermann, souvent qualifiée de « poète-philosophe », inscrit ainsi l’absence d’amour dans une quête de sérénité intérieure, faisant de sa poésie un témoignage intemporel sur les rapports conflictuels entre raison et passion.