Rêve antique - Stéphane Mallarmé
Elle est dans l’atrium la blonde Lycoris
Sous un flot parfumé mollement renversée.
Comme un saule jauni s’épand sous la rosée,
Ses cheveux sur son sein pleuvent longs et fleuris.
Dans les roseaux, vis-tu, sur un fleuve bleuâtre,
Le soir, glisser le front de la pâle Phoebé ?
– Elle dort dans son bain et sa gorge d’albâtre,
Comme la lune, argente un flot du ciel tombé.
Son doigt qui sur l’eau calme effeuillait une rose
Comme une urne odorante offre un calice vert :
Descends, ô brune Hébé ! verse de ta main rose
Ce vin qui fait qu’un coeur brûle, à tout coeur ouvert.
Elle est dans l’atrium la blonde Lycoris
Sous un flot parfumé mollement renversée :
Comme ton arc d’argent, Diane aux forêts lancée,
Se détend son beau corps sous ses amants choisis.
Publié au XIXème siècle
Stéphane Mallarmé (1842–1898), un maître incontournable de la poésie française du XIXᵉ siècle, a laissé une marque indélébile dans l’art des mots grâce à son exploration audacieuse des émotions et de la beauté. Issu d’une famille bourgeoise, il a d’abord enseigné l’anglais avant de consacrer sa vie à la littérature, devenant un pilier des cercles symbolistes parisiens. Son œuvre, souvent qualifiée de « poésie pure », mêle avec une grâce rare mythes antiques, sensualité et abstractions métaphoriques. Dans Rêve antique, il immortalise l’esprit des amours éternelles à travers la figure de Lycoris, une nymphe blonde dont la grâce onirique évoque à la fois la légende et la passion charnelle. Le vers « Elle est dans l’atrium la blonde Lycoris / Sous un flot parfumé mollement renversée » résume son style : des images vaporeuses (le saule jauni, la rosée, l’albâtre), des références classiques (Phoebé, Diane) et une musicalité qui danse entre allitérations et rythmes liquides. Mallarmé ne cherche pas à raconter, mais à évoquer – comme un peintre impressionniste de l’âme – les éclats fugaces de l’amour, où le corps et le mythe se confondent dans une éternité poétique. Son héritage transcende les siècles, inspirant des artistes de Kandinsky à Debussy, prouvant que sa vision de l’amour, à la fois archaïque et moderne, reste une source intarissable d’inspiration.