Romance - Gérard de Nerval
Ah ! sous une feinte allégresse
Ne nous cache pas ta douleur !
Tu plais autant par ta tristesse
Que par ton sourire enchanteur
À travers la vapeur légère
L’Aurore ainsi charme les yeux ;
Et, belle en sa pâle lumière,
La nuit, Phœbé charme les cieux.
Qui te voit, muette et pensive,
Seule rêver le long du jour,
Te prend pour la vierge naïve
Qui soupire un premier amour ;
Oubliant l’auguste couronne
Qui ceint tes superbes cheveux,
À ses transports il s’abandonne,
Et sent d’amour les premiers feux !
Publié en 1877 dans le recueil Œuvres complètes de Gérard de Nerval, poésies complètes, tome 6, Calmann Lévy, éditeur, (p. 297).
Gérard de Nerval, né Gérard Labrunie à Paris en 1808, incarne le romantisme français à travers une œuvre où l’amour intemporel se mêle à la mélancolie et au mystère. Son poème Romance, publié à titre posthume en 1877, illustre cette quête poétique où la douleur et la joie s’unissent comme les phases du jour et de la nuit. Comparant l’amour à l’aurore et à la lune (Phœbé), il capte l’essence éphémère et envoûtante des sentiments, oscillant entre tristesse et fascination. Cette dualité reflète sa propre vie marquée par des épreuves affectives et des crises psychiques, qui ont nourri son exploration des frontières entre réalité et rêve. Bien que mort tragiquement en 1855, ses poèmes d’amour — comme Une Allée du Luxembourg ou Mélodie — restent des témoins de son idéalisation de la femme et de sa capacité à transfigurer les émotions en symboles universels. Son héritage réside dans cette alchimie entre intimité et éternité, où chaque vers capture un fragment de l’infini amoureux.