Se voir le plus possible - Alfred de Musset
Sonnet.
Se voir le plus possible et s’aimer seulement,
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu’un désir nous trompe, ou qu’un remords nous ronge,
Vivre à deux et donner son coeur à tout moment ;
Respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge,
Faire de son amour un jour au lieu d’un songe,
Et dans cette clarté respirer librement
Ainsi respirait Laure et chantait son amant.
Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
Cest vous, la tête en fleurs, qu’on croirait sans souci,
C’est vous qui me disiez qu’il faut aimer ainsi.
Et c’est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci :
Oui, l’on vit autrement, mais c’est ainsi qu’on aime.
Publié en 1850 dans le recueil Poésies nouvelles.
Alfred de Musset, l’un des piliers du romantisme français, a capturé l’essence de l’amour avec une intensité qui traverse les siècles. Né en 1810, ce poète, dramaturge et romancier a vécu une existence marquée par des passions tumultueuses et une sensibilité exacerbée, reflétées dans son œuvre. Son poème Se voir le plus possible (1850), issu des Poésies nouvelles, incarne cette quête d’un amour sans artifice : « Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge », il célèbre une relation authentique, où le coeur s’offre sans réserve. Si Musset a connu des liaisons brûlantes, comme avec George Sand (surnommée « Laure »), son sonnet évoque une maturité poétique, opposant l’idéal pureté de l’amour à la réalité des doutes et des « blasphèmes » dont il se décrit lui-même. Sa voix, à la fois mélancolique et vibrante, résonne encore aujourd’hui, faisant de lui un témoin éternel des tourments et des rédemptions de l’âme amoureuse.