Si je trépasse entre tes bras, Madame - Pierre de Ronsard
Si je trépasse entre tes bras, Madame,
Il me suffit, car je ne veux avoir
Plus grand honneur, sinon que de me voir
En te baisant, dans ton sein rendre l’âme.
Celui que Mars horriblement enflamme
Aille à la guerre, et manque de pouvoir,
Et jeune d’ans, s’ébatte à recevoir
En sa poitrine une Espagnole lame ;
Mais moi, plus froid, je ne requiers, sinon
Après cent ans, sans gloire, et sans renom,
Mourir oisif en ton giron, Cassandre.
Car je me trompe, ou c’est plus de bonheur,
Mourir ainsi, que d’avoir tout l’honneur,
Pour vivre peu, d’un guerrier Alexandre.
Publié en 1552 dans le recueil Premier livre des Amours
Pierre de Ronsard, figure majeure de la Renaissance française, a marqué la poésie d’amour avec une sensibilité qui traverse les siècles. Né en 1524, il fonde la Pléiade, mouvement visant à moderniser la langue française en s’inspirant des modèles antiques. Son recueil Les Amours (1552), consacré à Cassandre, réinvente le sonnet en y injectant une passion sensuelle et une réflexion sur la fugacité de la beauté. Son poème Si je trépasse entre tes bras, Madame illustre cette quête de l’absolu amoureux : préférant une mort romantique dans les bras de son aimée à la gloire guerrière, il célèbre l’amour comme une forme supérieure d’honneur. Ronsard rompt avec le pétrarquisme en privilégiant un choix délibéré plutôt qu’une passion subie. Cette vision intime et érotique, où le corps et l’âme se fondent, reste d’une résonance éternelle, faisant de lui un maître incontesté de l’amour poétique. Ses œuvres, rééditées et réinventées tout au long de sa vie, continuent de captiver par leur musicalité et leur profondeur humaine.