Si tu veux que je meure - Rémy Belleau
Si tu veux que je meure entre tes bras, m’amie,
Trousse l’escarlatin* de ton beau pelisson**
Puis me baise et me presse, et nous entrelaçons
Comme, autour des ormeaux, le lierre se plie.
Dégrafe ce colet, m’amour, que je manie
De ton sein blanchissant le petit mont besson :
Puis me baise et me presse, et me tiens de façon
Que le plaisir commun nous enivre, ma vie.
L’un va cherchant la mort aux flancs d’une muraille
En escarmouche, en garde, en assaut, en bataille
Pour acheter un nom qu’on surnomme l’honneur.
Mais moi, je veux mourir sur tes lèvres, maîtresse,
C’est ma gloire, mon heure, mon trésor, ma richesse,
Car j’ai logé ma vie en ta bouche, mon cœur.
* Escarlatin : Étoffe.
** Pelisson : Vêtement de dessous.
Publié en 1565 dans le recueil La Bergerie.
Rémy Belleau, né en 1528 à Nogent-le-Rotrou et mort à Paris en 1577, fut un poète français de la Pléiade dont les vers érotiques et sensuels traversent les siècles. Protecteur des Guise, il passa sa vie à célébrer la nature et l’amour avec une grâce mignarde, surnommé « le gentil Belleau » par ses contemporains. Son chef-d’œuvre, La Bergerie (1565), allie pastorale et érotisme, comme en témoigne Si tu veux que je meure, où il oppose la mort guerrière à l’extase amoureuse. Ce poème, emblématique de la Renaissance française, mêle métaphores végétales (« nous entrelaçons / Comme, autour des ormeaux, le lierre se plie ») et langage corporel audacieux (« Dégrafe ce colet […] Que le plaisir commun nous enivre »). Traducteur d’Anacréon et de Sappho, il a su capter l’intemporalité des passions humaines, faisant de ses vers une invitation à vivre l’amour comme une étreinte sublime, au-delà des conventions sociales. Son œuvre, souvent qualifiée de « maniériste », révèle une sensibilité à la recherche de nouvelles formes littéraires, marquant durablement la poésie française.