Un moment - Marceline Desbordes-Valmore
Un moment suffira pour payer une année ;
Le regret plus longtemps ne peut nourrir mon sort.
Quoi ! L’amour n’a-t-il pas une heure fortunée
Pour celle dont, peut-être, il avance la mort ?
Une heure, une heure, amour ! Une heure sans alarmes,
Avec lui, loin du monde ! Après ce long tourment,
Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ;
Et si c’est trop d’une heure… un moment ! Un moment !
Vois-tu ces fleurs, amour ? C’est lui qui les envoie,
Brûlantes de son souffle, humides de ses pleurs ;
Sèche-les sur mon sein par un rayon de joie,
Et que je vive assez pour lui rendre ses fleurs !
Une heure, une heure, amour ! Une heure sans alarmes,
Avec lui, loin du monde ! Après ce long tourment,
Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ;
Et si c’est trop d’une heure… un moment ! Un moment !
Rends-moi le son chéri de cette voix fidèle :
Il m’aime, il souffre, il meurt, et tu peux le guérir !
Que je sente sa main, que je dise : « C’est elle ! »
Qu’il me dise : « Je meurs ! » alors, fais-moi mourir.
Une heure, une heure, amour ! Une heure sans alarmes,
Avec lui, loin du monde ! Après ce long tourment,
Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ;
Et si c’est trop d’une heure… un moment ! Un moment !
Publié en 1830 dans le recueil Romances.
Marceline Desbordes-Valmore, née en 1786 à Douai, incarne une voix poétique intime et passionnée qui traverse les siècles. Après une enfance marquée par la précarité — son père ruiné, sa mère décédée en Guadeloupe — elle devient comédienne avant de se consacrer à l’écriture, nourrie par une liaison tumultueuse avec Henri de Latouche et un mariage difficile avec Prosper Valmore. Son recueil Romances (1830), comprenant Un moment, révèle une artiste autodidacte dont le lyrisme saisit l’urgence des émotions. Ce poème, avec ses répétitions obsessionnelles (« Une heure, une heure, amour ») et ses images brûlantes (« fleurs humides de ses pleurs »), condense la quête d’un bonheur éphémère face à la mort, thème récurrent chez elle. Admirée par Balzac, Verlaine et Baudelaire, elle reste une pionnière du romantisme pour son mélange de spontanéité et de rythmes novateurs. Ses poèmes d’amour, marqués par la mélancolie et l’intensité, continuent de résonner comme des cris universels contre le temps qui vole et les séparations cruelles.