Un seul être - Paul Eluard
I
A fait fondre la neige pure,
A fait naître des fleurs dans l’herbe
Et le soleil est délivré.
Ô fille des saisons variées,
Tes pieds m’attachent à la terre
Et je l’aime toute l’année.
Notre amour rit de ce printemps
Comme de toute sa beauté,
Comme de toute sa bonté.
II
Flûte et violon,
Le rythme d’une chanson claire
Enlève nos deux coeurs pareils
Et les mouettes de la mer.
Oublie nos gestes séparés,
Le rire des sons s’éparpille,
Notre rêve est réalisé.
Nous possèderons l’horizon,
La bonne terre qui nous porte
Et l’espace frais et profond,
Flûte et violon.
III
Que te dire encore, amie?
Le matin, dans le jardin,
Le rossignol avale la fraîcheur,
Le jour s’installe en nous
Et nous va jusqu’au coeur.
Le jour s’installe en nous.
Et tous les matins, cherchant le soleil
L’oiseau s’engourdit sur les branches fines.
Et fuyant le travail, nous allons au soleil
Avec des yeux contents et des membres légers.
Tu connais le retour, amie,
C’est entre nous que l’oiseau chante,
Le ciel s’orne de son vol,
Le ciel devenu sombre
Et la verdure sombre.
IV
La mer toute entière rayonne,
La mer tout entière abandonne
La terre et son obscur fardeau.
Rêve d’un monde disparu
Dont tu conserves la vertu
Ou rêve plutôt
Que tu m’as gardé sur les flots
Que la lumière. . . Et sous le soleil
Le vent qui s’en va de la terre immense.
(1917)
Publié entre 1913-1918 dans le recueil Premiers Poèmes
Paul Éluard, né Eugène Émile Paul Grindel le 14 décembre 1895 à Saint-Denis et mort le 18 novembre 1952 à Charenton-le-Pont, a marqué la poésie française du XXᵉ siècle par une œuvre où l’amour fusionne avec une quête d’absolu. Dès ses Premiers Poèmes (1913-1918), ce texte fondateur mêle déjà tendresse intime et métaphores cosmiques. Dans Un seul être, son écriture chaleureuse et rythmée célèbre une passion qui transcende les saisons – les « fleurs dans l’herbe » et le « soleil délivré » symbolisent une vitalité amoureuse éternelle. Le poème utilise des images musicales (« flûte et violon ») pour évoquer l’harmonie des amants, tandis que la nature devient complice de leur étreinte : les « mouettes de la mer » et l’« horizon » suggèrent un horizon infini partagé. Éluard y déploie cette « poésie à deux » qui caractérisera toute sa carrière, où l’amour se fait force universelle. Collaborateur de surréalistes comme André Breton, il a su donner à l’intime une dimension épique, faisant de chaque relation amoureuse un fragment d’un monde idéal. Son style, à la fois accessible et profond, explique pourquoi ses vers restent lus et aimés aujourd’hui, comme un testament de l’amour éternel.