Vers d’amour - Renée Vivien
Tu gardes dans tes yeux la volupté des nuits,
O Joie inespérée au fond des solitudes !
Ton baiser est pareil à la saveur des fruits
Et ta voix fait songer aux merveilleux préludes
Murmurés par la mer à la beauté des nuits.
Tu portes sur ton front la langueur et l’ivresse,
Les serments éternels et les aveux d’amour,
Tu sembles évoquer la craintive caresse
Dont l’ardeur se dérobe à la clarté du jour
Et qui te laisse au front la langueur et l’ivresse.
Publié en 1902 dans le recueil Cendres et Poussières
Née en 1877 sous le nom de Pauline Mary Tarn, Renée Vivien incarne une voix singulière de la poésie symboliste française, marquée par une exploration audacieuse de l’amour féminin et des paysages émotionnels interdits. Installée à Paris après une jeunesse britannique, elle transforme ses blessures intimes – deuil paternel, quête d’absolu amoureux – en vers où se mêlent mysticisme et sensualité. Sa relation passionnelle avec Natalie Clifford Barney, muse des salons littéraires, inspire des recueils comme Études et Préludes (1901) où l’amour sapphique devient un acte de résistance poétique contre les normes sociales.
Le poème Vers d’amour, extrait des Caresses (1903), déploie une métaphore florale pour explorer la dialectique entre passion éphémère et blessure durable. Les « pâquerettes » des amours adolescentes, légères « sans racines », contrastent avec les « roses sauvages » aux « épines assassines ». Ce jardin imaginaire devient le théâtre d’une alchimie poétique : Vivien y transfigure sa propre expérience des ruptures et du deuil amoureux en une méditation universelle sur la mémoire affective. L’oxymore des « rubans d’aurore » liant une « gerbe » de souvenirs révèle sa maîtrise des images à double fond, où la grâce formelle dissimule une noirceur existentielle.
Paradoxalement, c’est dans l’évocation de l’évanescence que Vivien crée son immortalité littéraire. Le dernier vers – « Je ne sais plus qui vous êtes » – sonne comme un adieu aux illusions juvéniles, mais affirme surtout la victoire du verbe sur l’oubli. Son œuvre, longtemps marginalisée pour son audace thématique et stylistique, influence aujourd’hui les études queer et féministes, confirmant que les « vieux parfums » de sa poésie continuent d’imprégner notre imaginaire amoureux.