Voici mon compliment - Guy de Maupassant

En ce joyeux temps de nouvelle année

L’usage prescrit de faire un cadeau.

L’un donne une fleur bien vite fanée,

L’autre un souvenir oublié bientôt.

 

Moi si de mon coeur suivais la prière,

Perles à vos pieds viendrais apporter,

Mais la bourse, hélas! est la conseillère

Qu’avant notre coeur il faut écouter.

 

J’aperçois partout sur vos étagères

Heureux souvenirs, mignons et coquets,

Le troupeau fleuri des choses légères,

Les petits bijoux et les grands bouquets.

 

Or, ma bourse est vide et mon coeur soupire:

Si même un bouquet voulais vous donner,

Serait si chétif qu’il vous ferait rire

Et que ne pourriez me le pardonner.

 

Ne puis vous offrir de ces fleurs qui brillent,

Jasmin, rose ou lys, belle dame, mais

Dans mon jardinet chantent et scintillent

Floraisons du coeur, quatrains et couplets.

 

Ceci j’ai cueilli, c’est fort peu de chose.

Cherchant plus avant autre trouverais

Peut-être, mon Dieu? Las, mon coeur?… Je n’ose

Que bien volontiers je vous offrirais.

 

Nuit de Noël, 1872

 

Publié en 1872 dans le recueil Poésie Diverses

Portrait de Guy de MaupassantGuy de Maupassant (1850-1893), célèbre pour ses romans naturalistes comme Bel-Ami ou Une vie, révèle une facette plus intime à travers sa poésie, notamment dans Voici mon compliment (1872). Ce poème d’amour, écrit à 22 ans sous l’influence de son mentor Gustave Flaubert, mêle pudeur et romantisme en jouant sur le contraste entre l’impuissance matérielle (« ma bourse est vide ») et l’abondance sentimentale (« floraisons du cœur »). Structuré en quatrains et couplets, le texte transpose la tradition du cadeau de Nouvel An en une déclaration où l’offrande poétique remplace les fleurs fanées – métaphore audacieuse pour un jeune auteur qui deviendra maître de la nouvelle réaliste. Si Maupassant abandonnera vite la poésie pour la prose, ce texte préfigure déjà son art du détail concret et de la psychologie amoureuse, qu’on retrouvera dans Le Horla ou La Parure. L’oscillation entre confidence (« mon cœur soupire ») et ironie (« mignons et coquets ») révèle un romantisme tempéré par le regard acéré d’un observateur social, signature d’un écrivain qui fera des sentiments humains sa matière première.

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