Ce doux hiver qui égale ses jours - Théodore Agrippa d'Aubigné
Ce doux hiver qui égale ses jours
A un printemps, tant il est aimable,
Bien qu’il soit beau, ne m’est pas agréable,
J’en crains la queue, et le succès toujours.
J’ai bien appris que les chaudes amours,
Qui au premier vous servent une table
Pleine de sucre et de mets délectable,
Gardent au fruit leur amer et leurs tours.
Je vois déjà les arbres qui boutonnent
En mille noeuds, et ses beautés m’étonnent,
En une nuit ce printemps est glacé,
Ainsi l’amour qui trop serein s’avance,
Nous rit, nous ouvre une belle apparence,
Est né bien tôt bien tôt effacé.
1594
Je suis Théodore Agrippa d’Aubigné, né en 1552, poète, soldat et fervent défenseur de la cause protestante. Toute ma vie a été marquée par les guerres de Religion, et j’ai combattu aux côtés d’Henri de Navarre, futur Henri IV. Témoin des atrocités de cette époque, j’ai versé ma colère et mes convictions dans mes écrits, comme dans Les Tragiques, une œuvre où je dénonce les injustices subies par les protestants et brosse un tableau sombre de la France de mon temps. En plus d’être poète, j’étais un esprit libre et intrépide, ne craignant pas de critiquer le pouvoir, ce qui m’a souvent valu l’hostilité des autorités. Jusqu’au bout, j’ai défendu mes idées, et si mes écrits ont parfois choqué, j’espère qu’ils ont aussi contribué à éveiller les consciences.