Le bonheur d’aimer - Adélaïde Dufrénoy
Il est auprès de moi, sa main presse ma main,
Sa bouche s’embellit du plus charmant sourire,
Son teint s’anime, je soupire,
Sa tête mollement vient tomber sur mon sein ;
Là je respire son haleine,
Son haleine en parfum plus douce que la fleur.
De ses bras l’amoureuse chaîne
Rapproche mon cœur de son cœur ;
Bientôt nos baisers se confondent,
Ils sont purs comme nos amours :
Nous demeurons sans voix ;
Seuls nos yeux se répondent ;
Ils se disent tout bas :
Toujours, toujours, toujours !
Publié en 1813 dans le recueil Élégies et poésies diverses
Adélaïde Dufrénoy (1765-1825), née Billet à Paris, incarne la poésie amoureuse du tournant du XIXe siècle à travers des vers d’une sensibilité intemporelle. Élevée dans un milieu cultivé où elle apprit le latin et découvrit Virgile, cette protégée de Voltaire par son mariage avec le procureur Simon Petit-Dufrénoy transforma les épreuves de sa vie en source d’inspiration. Exilée en Italie après la Révolution qui ruina sa famille, elle composa ses plus belles élégies en marge de son rôle de soutien auprès de son mari devenu aveugle, mêlant mélancolie et passion dans une écriture à fleur de peau. Son recueil Élégies et poésies diverses (1813) révèle un art subtil de l’érotisme voilé, comme en témoigne Le bonheur d’aimer où les corps s’unissent en une « amoureuse chaîne » : les mains qui se pressent, les haleines parfumées et les baisers confondus y dessinent une sensualité pudique, portée par le refrain murmuré « Toujours, toujours, toujours ! ». Prix de poésie de l’Académie française en 1814, Dufrénoy transcenda les codes de son époque pour chanter l’amour dans sa dimension à la fois charnelle et éternelle, faisant d’un instant de tendresse partagée l’écho des passions humaines à travers les siècles.