Qu'aimez-vous ? - Charles Dovalle
J’aime un œil noir sous un sourcil d’ébène,
Sur un front blanc j’aime de noirs cheveux :
Et vous avez de longs cheveux d’ébène
Sur un front blanc, et le jais est à peine
Aussi noir que vos yeux.
J’aime un beau corps, qui se penche avec grâce,
Sur un sopha négligemment porté ;
Et savez-vous avec combien de grâce
Sur un sopha vous vous inclinez, lasse
Et brûlante de volupté !
Et puis, quand, là, plaintive et paresseuse,
Le cœur ému, l’œil à moitié fermé,
Vous soupirez… J’aime une paresseuse,
Un long soupir, une voix langoureuse,
Un regard enflammé.
J’aime à trouver un mélange de joie,
De rêverie et de douce langueur :
Pourquoi chez vous ces chagrins, cette joie
Ce sein qui bat contre un fichu de soie,
Ce sourire triste et moqueur ?…
Parfois un mot, un songe, une pensée,
De votre joue efface la pâleur :
Souvent un songe, un mot, une pensée,
Une pâleur lentement effacée
Me fait battre le cœur.
Vienne un caprice, une idée indécise,
Comme un oiseau loin de moi vous volez.
J’aime un caprice, une idée indécise,
J’aime la place où vous étiez assise,
J’aime la place où vous allez…
Un ange… un ange aussi beau que vous-même,
Dont le parler comme le vôtre est doux…
Qui rit aussi… dont le nom est le même
Que votre nom… Oui, voilà ce que j’aime,
Tout ce que j’aime !… — Et vous ?…
Publié en 1830 dans le recueil Poésies de feu.
Charles Dovalle, né en 1807 à Montreuil-Bellay, incarne cette figure romantique du poète maudit dont la brève existence contraste avec la profondeur de son œuvre. Après des études à Saumur, il s’installe à Paris en 1828 pour se lancer dans la vie littéraire, collaborant au Figaro et au Journal des Salons. Malgré le destin tragique qui l’emporte à 22 ans dans un duel lié à une querelle journalistique – la balle traversant même son portefeuille contenant une lettre d’adieu –, son talent s’affirme posthume grâce à des poèmes comme Qu’aimez-vous ?. Ce texte, publié dans Poésies de feu (1830), célèbre l’amour avec une sensualité qui transcende le temps. Dovalle y dépeint avec délicatesse les traits de sa bien-aimée (« un œil noir sous un sourcil d’ébène ») et les contrastes émotionnels qui la caractérisent (« ce sourire triste et moqueur »). Son style, teinté de rêverie et de langueur, révèle une quête d’intimité et de mystère amoureux (« c’est le mystère / Qui fait la volupté »), perpétuant son héritage littéraire bien au-delà de son époque. Victor Hugo, qui préfaça son recueil, souligna ainsi la grâce et la jeunesse de sa poésie.